Dans la sérénité des montagnes srilankaises

Publié par Audesou, le 17 janvier 2014 à 09:53

Né au niveau de ma mère, j’ai pourtant toujours aimé la montagne. Fin décembre 2013, lorsque j’ai débarqué au Sri Lanka sans rien connaître du pays, après avoir déposé ma demande de visa touriste indien dans la ville de Kandy, une carte topographique en main, c’est à sa recherche que je suis parti.

Dans la sérénité des montagnes srilankaises, des plantations de thé flamboyantes aux sommets brumeux, de la crête de l’authentique Haputale au défilé de la touristique Ella, j’ai marché à l’intuition et au hasard, des heures durant.

Travaillant sans relâche la langue du monde, que le soleil ne rayonne ou que la pluie ne tombe, j’ai retourné les centaines de sourires qui m’étaient adressés. Lorsque ma route croisait celle de ces enfants émerveillés de voir arriver un blanc sur leurs terres isolées et qui me demandaient par réflexe tristement conditionné des bonbons ou de l’argent, j’ai préféré partager des fruits et laisser derrière-moi le souvenir de cinq mots de français dont la sonorité faisait bien rigoler. Au hasard des rencontres, j’ai finalement eu l’immense honneur d’être accueilli les bras ouverts par une communauté de moines bouddhistes au sein de laquelle j’ai vécu quelques jours au rythme du monastère. J’y ai réalisé que la meilleure nourriture du Sri Lanka ne se trouve pas — quoi que l’on en dise — dans les cantines locales ou dans les restaurants hors de prix. La meilleure nourriture, c’est dans l’assiette des moines que l’on peut la trouver. Offerte jour après jour par les habitants des environs qui apportent inlassablement ce qu’ils ont à proposer de mieux, ils reçoivent en échange l’assurance d’une bénédiction et d’une protection spirituelle, depuis des générations.

Dans la sérénité des montagnes srilankaises, j’ai enfin passé de longs moments assis, à contempler humblement en silence et les larmes aux yeux, l’une de celles qui, depuis le premier cri, me supportent discrètement chaque jour. À tel point que, parfois, tristement, je ne le perçois plus. Je parlais en introduction de ma mère. Je parle cette fois de la Terre.

Le temps d’un souffle, nous sommes en vie sur une planète merveilleuse, qui ne nous appartient pas, qui est capable d’un seul soubresaut de ramener chacune et chacun d’entre nous à terre, pour qui l’humanité tout entière n’est rien, qui nous survivra probablement tous, et qui pourtant, nous accueille.

Nous sommes en vie. Et c’est déjà beaucoup.

Ne l’oublions jamais.

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Déjà 8 traces de pas sur « Dans la sérénité des montagnes srilankaises »

La Malaisie

Publié par Audesou, le 15 janvier 2014 à 06:31

Avant l’Inde, pour laquelle je devrais m’envoler dans quelques jours, et le Sri Lanka, que je quitte très bientôt, La Piste Inconnue m’a fait traverser une partie de la Malaisie.

« L’unité est la force », telle est la vibrante devise de celle qui reçoit la dixième fiche pays de ce carnet de route. Fer de lance de la seconde vague de développement du Sud-Est asiatique, deuxième producteur d’huile de palme au monde derrière l’Indonésie en 2013, au détriment certain de la biodiversité, la Malaisie travaille chaque jour à conserver coûte que coûte la tête du clan des cinq Tigres. Territoire trop souvent survolé par les voyageurs, fief de l’islam, où cohabitent principalement Malais, Indiens et Chinois, c’est pendant le mois passé dans ce complexe et donc intéressant pays que j’ai découvert, à la dure, le vrai sens du mot « mousson ».

Synthèse de mon aventure, anecdotes et autres conseils aux voyageurs...

Mon parcours

  1. Mersing.
  2. Air Batang.
  3. Mersing.
  4. Pekan.
  5. Gumum.
  6. Kuantan.
  7. Jerantut.
  8. Raub.
  9. Tanah Rata.
  10. Ipoh.
  11. Kuala Lumpur.

Pour en savoir plus sur mon parcours en Malaisie, consultez la page « L’itinéraire ».

Ce que j’ai apprécié

  • Retrouver des transports publics rapides, confortables et fiables.
  • La diversité culturelle et culinaire.
  • Marcher dans la jungle, entouré de singes chapardeurs, de moustiques sanguinaires et de varans patauds.
  • Découvrir pour la première fois de ma vie des plantations de thé.
  • Pouvoir de nouveau communiquer facilement, en anglais, avec la plupart des locaux.
  • Vivre la mousson, de l’intérieur.
  • Apprendre les bases de l’hindouisme.
  • Être souvent accueilli à bras ouverts par les locaux dans les lieux publics ou les cantines locales, y compris dans la capitale, Kuala Lumpur.
  • Pouvoir réutiliser les quelques mots appris en Indonésie pour récolter des sourires : l’indonésien et le malaisien sont deux formes d’une seule et même langue, le malais.
  • Tanah Rata et les Cameron Highlands.

Pour en savoir plus sur mon aventure en Malaisie, consultez la catégorie « Malaisie ».

Ce qui m’a interpelé

  • La déforestation massive, dans le principal but d’étendre toujours plus la surface consacrée à la culture du palmier à huile, avec lequel on produit l’huile de palme. En Malaisie, vous pouvez passer des journées entières à marcher dans un champ de palmiers, sans jamais en atteindre l’une des extrémités.
  • La chaleur humide et étouffante, au niveau de la mer.
  • La présence d’une flèche indiquant la direction de la qibla sur le plafond ou au fond d’un des tiroirs de chaque chambre d’hôtel.
  • Le coût de la nourriture à Kuala Lumpur, très nettement supérieur à celui pratiqué dans le reste du pays.
  • Les tensions politicoreligieuses et autres conflits ethnoéconomiques qui apparaissent, lorsque l’on étudie attentivement la manière dont est structurée la société malaisienne. En grossissant un tantinet le trait : les Malais dirigent la politique du pays, les Chinois en contrôlent les marchés, tandis que les Indiens déploient à faible coût les différentes infrastructure qui rendent la Malaisie si souple et dynamique.
  • La vitesse hallucinante à laquelle roulent les conducteurs de bus.
  • La violence de la mousson.
  • La présence de salles de prières, même dans les endroits les plus insolites.
  • Le niveau de développement du pays.
  • La très forte supériorité de l’islam, au regard des autres religions pratiquées sur le territoire, et sa rigueur, notamment sur la côte est du pays.

Mon budget

J’ai passé au total 32 jours en Malaisie entre le 18/11 et le 20/12/2013.

Total des dépenses
598,79 €
Budget moyen quotidien
18,71 €

Contrairement à ce qu’annonceront vos vieilles encyclopédies, la Malaisie est désormais un pays développé, et le coût de la vie — sans atteindre les sommets de celui de Singapour — est aujourd’hui élevé, si on le compare à celui des autres pays voisins. Cette remarque vaut particulièrement pour le coût de l’hébergement.

Notez toutefois que de nombreuses solutions perdurent pour voyager à bas coût en Malaisie péninsulaire. Le total de mes dépenses en Malaisie affiché ci-haut intègre notamment le coût de mon vol pour le Sri Lanka, depuis Kuala Lumpur. Si l’on fait abstraction de cette opération, ce total tombe à 396,99 €, et entraîne dans sa chute mon budget moyen quotidien, qui se stabilise alors à 12,41 €. Soit environ 2 € de plus que ce que je dépensais en moyenne chaque jour en Bolivie en 2013, le pays au coût de la vie le plus bas d’Amérique du Sud.

L’unité monétaire de la Malaisie est le ringgit malaisien (RM).

Conseils aux voyageurs

  • Ne buvez pas l’eau du robinet.
  • Des fontaines d’eau potable sont parfois disponibles dans les rues. En l’échange de quelques pièces, elles vous rechargeront en liquide à un coup dérisoire, et vous permettront de réutiliser vos bouteilles en plastique.
  • Tout comme en Indonésie, on s’essuie les fesses avec la main gauche et de l’eau, en Malaisie. Il est très impoli de toucher directement de la nourriture ou les personnes qui vous entourent avec cette main.
  • Même si les transports publics sont fiables et peu onéreux, sachez que le stop fonctionne parfaitement, partout en Malaisie.
  • Aussi stupéfiant que cela puisse paraître, les bus publics partent parfois largement en avance, notamment dans les endroits isolés. Si vous avez prévu de prendre le seul bus de la journée à 11:00, arrivez de préférence vers 10:15 au terminal.
  • Sachez que tout est négociable en Malaisie, y compris lorsque les prix sont affichés.
  • De très loin, les accidents de la route sont le principal risque auquel vous serez confrontés en Malaisie. Il s’agit d’un problème de société majeur, qui terrifie et révolte une bonne partie de la population, cf. buscrashnomore.blogspot.com.
  • Dans tous les cas, en Malaisie comme ailleurs, soyez toujours très alerte quant à la sécurité lorsque vous prenez le bus. C’est-à-dire : attachez-vous lorsque cela est possible, sachez toujours exactement comment sortir du bus dans l’éventualité d’un accident (localisez dès la montée dans le bus les portes, les trappes au plafond, la position des marteaux brise-vitres, les vitres de sécurité, etc.), ne prenez jamais place dans les deux tiers avants d’un bus (les places situées autour du ou des essieux arrières sont, de très loin, les plus sûres) et surtout, surtout, conservez votre sang froid quoi qu’il arrive.
  • Les Chinois proposent régulièrement les chambres les moins chères de la ville, mais l’entrée des établissements les plus bon marché est volontairement peu évidente à repérer depuis la rue pour les personnes étrangères à la communauté. Souvent, il s’agit d’un escalier attenant à une boutique tenue par des propriétaires Chinois, surmonté de quelques idéogrammes. Si vous souhaitez tenter l’expérience, grimpez ces escaliers en donnant l’air de savoir où vous allez, et vous trouverez bien souvent ce que vous êtes venus chercher. Notez que certains de ces établissements sont clairement des bordels, que vous ne devriez pas pénétrer accompagné d’enfants. Dans tous les cas, suivez votre intuition.
  • Porter une barbe fournie vous ouvrira souvent bien des portes. Je ne crois en aucun dieu, et je n’ai jamais menti quant à mes convictions lorsque l’on m’a demandé de les exprimer, mais j’ai souvent laissé le doute se déployer, et constaté que l’attitude ainsi que les prix pratiqués sont respectivement plus chaleureuse et bien moins élevés envers le « frère musulman » que vis-à-vis d’un étranger lambda.
  • Enfin, sachez qu’en Malaisie, les textes de lois interdisent à tout non-musulman d’employer le mot « Allah ». À l’oral ou à l’écrit. Ici aussi, tant que le respect est bien présent, porter une grosse barbe aide à semer le doute et à aborder tous les sujets.

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Pourquoi La Piste Inconnue a-t-elle pris la direction du Sri Lanka ?

Publié par Audesou, le 10 janvier 2014 à 04:41

La nuit étendait toujours sa robe sombre et froide sur le petit matin lorsque j’ai posé un premier pas hésitant sur La Piste Inconnue. Nous étions alors début novembre et un lundi 05 naissait. Celui de l’année 2012. Depuis ce jour, sur la route, on me demande régulièrement comment ce projet se construit.

Avant d’aller plus loin, ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’une piste, à part quelques trappeurs nord-américains, cela n’intéresse personne. Mais transformez cette dernière en une piste inconnue, et vous aurez tôt fait de voir naître une forme d’intérêt teinté d’incrédulité dans le regard des gens. Si les romantiques trouvent en général cela beau, les esprits les plus cartésiens tombent souvent dans une impasse : comment est-il possible ne serait-ce que d’avancer sur une piste qui n’existe pas encore, et dont — par définition — personne ne connaît rien ?

Je réalise aujourd’hui que j’évoque au final très peu le sujet sur ce carnet de route et que ce thème gagnerait pourtant sans doute à être abordé, notamment parce qu’il pourrait aider de futurs voyageurs à appréhender cet aspect très pratique du voyage. Après tout, tracer cette piste est ce qui occupe le plus clair de mon temps depuis maintenant plus de 14 mois. Il est grand temps de partager et — qui sait ? — d’inspirer.

Plus ma quête avance, plus les décisions que je prends font se développer des branches tout en en faisant tomber d’autres sur l’arbre des possibles, et plus je m’enfonce vers l’inconnu. C’est en fait assez simple. Il y a un peu plus d’un mois, si l’on m’avait annoncé que je fêterais mes 25 ans au Sri Lanka, j’aurais probablement répondu quelque chose de très gracieux comme... Au Sri Lanquoi ?!

Jamais, jusqu’à il y a peu, je n’avais envisagé de découvrir ce pays dans le cadre de mon tour du monde. Et pourtant, c’est bel et bien depuis la ville côtière de Tangalle que je rédige présentement ce texte, qui retrace les différents événements qui ont fini par me mener sur cette île en forme de larme, humblement sise au sud-est de la géante Inde.

À le relire, avant sa publication, je me rappelle à quel point ce projet porte bien son nom, au moins autant que sa fière devise :

Allons-y, on verra bien !

Retour à Singapour

Comprendre pourquoi La Piste Inconnue a pris la direction du Sri Lanka implique de remonter quelques mois en arrière, à la mi-novembre 2013.

Je viens d’arriver à Singapour, 134e étape de l’aventure. À ce stade, je ne le réalise pas, mais si le passage dans cette ville-État signe le début du chapitre solitaire de mon voyage, il signe également le début d’un lent mais ferme virage qui viendra bouleverser totalement l’orientation de ce projet.

Pour la première fois de ma vie, je découvre à Singapour la culture indienne. Je veux dire, autrement que par le cinéma, la musique, les écrits, la pensée ou la cuisine. Cette culture qui m’est largement étrangère, je la découvre par l’intérieur. En seulement quelques jours, je rencontre et échange avec de nombreux Indiens. Et notamment celui que j’ai appelé a posteriori le « psikh », et qui m’aura bien aidé à aller de l’avant.

Tandis que je quitte la ville pour remonter vers le nord et la Malaisie, j’ai vaguement dans l’idée d’effectuer ensuite la boucle « classique » qui passe à travers la Thaïlande, le Laos et le Cambodge, pour finir par le Viêt Nam, avant de m’envoler vers l’Inde ou la Chine et continuer mon voyage vers de nouveaux horizons. Je ressens également le besoin d’éprouver profondément et intensément le sentiment de solitude qui est en train de s’abattre sur moi suite aux départs successifs de Samantha et de Koonshu.

Dès lors, arrivé le matin du lundi 18 novembre 2013 au terminal de bus de Johor Bahru, la ville-frontière malaisienne, une carte de la Malaisie en main, je prends la décision de sortir des sentiers battus et de me rendre là où les étrangers ne vont pas : sur la côte est de la Malaisie péninsulaire, en pleine période de mousson.

La mousson

Je voulais me sentir seul. Le moins que l’on puisse dire, c’est je suis servi. À de nombreuses reprises, en proie au doute, je me demande ce que je suis venu faire ici. Tous comme les habitants, j’ai parfois du mal à me nourrir tant l’approvisionnement est rendu erratique à cause des dégâts causés par l’eau sur les routes. M’enfin, je savais que l’épreuve serait difficile, alors je serre les dents et j’avance. Et puis il y a des arbres fruitiers partout. Sur la côte est, je passe des jours entiers sous une pluie d’une intensité telle qu’elle ferait presque pâlir la heavy rain de Nouvelle-Zélande. Chaque soir, je suis heureux d’avoir un toit au-dessus de ma tête. Même les locaux n’ont jamais vu cela. Les villes principales sont parfois sous plus d’un mètre d’eau, quand certains villages sont totalement submergés. J’assiste à ces tristes images d’une Asie du Sud-Est sous l’eau, que je n’avais jusqu’alors vues que bien au sec derrière un écran.

Durant ces quelques semaines, je vis en compagnie quasi exclusive des locaux, et même si — la barbe aidant — je m’intègre rapidement sur cette nouvelle terre d’accueil, je réalise à quel point il est possible de se sentir culturellement isolé lorsque l’on est le seul étranger des environs dans un pays dont on ne connaît pas encore les us et coutumes.

Beaucoup l’ignorent, mais c’est le prix à payer lorsque l’on quitte effectivement les circuits balisés et aseptisés du tourisme de masse. De Christopher McCandless à Sylvain Tesson, en passant par toi, l’ami Cédric, les grands voyageurs ont ceci de noble et d’admirable que c’est justement parce qu’ils ont osé provoquer la solitude durable dans tous les sens du terme qu’ils ont réussi à atteindre une profonde connaissance d’eux-même en apprenant à comprendre, accepter, puis dépasser, leurs peurs les plus enracinées.

De mon côté, je me sens encore incapable de dépasser certaines de mes peurs. Et peut-être est-ce pour cela que La Piste Inconnue continue. Que l’on me colle l’étiquette du solitaire entouré ou celle, en négatif, du sociable indépendant, je reste toujours très attaché à tous ceux qui m’entourent, qu’ils soient présents à mes côtés ou bien au fond du cœur. J’ai beau avancer seul désormais, je ne le suis jamais vraiment. La solitude, la vraie, je la repousse au loin quand elle se montre trop insistante. Je botte en touche. Car elle m’effraie, toujours.

C’est durant cette période de doutes que je fais une nouvelle rencontre capitale pour la suite de mon aventure en la personne de Peter, un voyageur britannique d’une cinquantaine d’années qui parcourt désormais le monde en enseignant l’anglais çà et là. Nous passons quelques jours ensemble. Son recul, son expérience, et le récit de ses aventures, me sont d’un grand soutien. Au moment de se séparer, il me rappelle la conclusion d’une discussion que nous avions eue plusieurs fois :

— Si tu veux aller en Inde mon gars, vas-y maintenant, il fait beaucoup trop chaud et humide dans le sud du pays, en été !
— Arf ! Je te tiendrai au courant quand j’y mettrai les pieds !

Durant les jours qui suivent, je repense beaucoup aux paroles de Peter. D’autant que, j’ai beau essayer de changer la donne, mais continuer vers la Thaïlande après la Malaisie ne me fait franchement pas rêver. Et puis, chaque Indien rencontré sur la péninsule me sert sans le savoir exactement le même discours que Peter. Sans compter que j’arrive à un stade où j’ai fait le deuil des séparations récentes, et que je ressens de nouveau le besoin de sortir de cette bulle de solitude qui m’entoure plus ou moins depuis Singapour. Je ressens un besoin de changement. Un besoin de faire face à de nouveaux défis.

Sur les conseils d’habitants du coin, je décide alors d’orienter la Piste vers l’ouest. Plus précisément, vers les Cameron Highlands, où en plus de retrouver les montagnes, je rencontrerai très probablement d’autres voyageurs, à cette période de l’année

Je choisis d’aller passer quelques jours dans le village de Tanah Rata, perché au milieu des plantations de thé.

Le festival de Tanah Rata

Le jeudi 05 décembre 2013, dans le bus quasi vide qui m’emmène en trombe vers ce village, tandis que le chauffeur se trémousse à pieds joints à la fois sur l’accélérateur et sur de la musique indienne, je constate que l’idée de partir pour l’Inde me motive sévèrement, à présent. Je regarde les millions de palmiers à huile défiler derrière la vitre humide, et je me demande : et si toutes les rencontres et les événements qui ont eu lieu ces dernières semaines étaient en fait des signes destinés à donner une nouvelle orientation et un nouveau sens à mon parcours ?

Peu à peu, une forme de certitude s’installe et je retrouve l’enthousiasme de celui qui, après avoir traversé une épreuve avec succès, voit son prochain objectif se préciser. Cette nuit-là, je la passe en partie à collecter des informations sur les modes d’entrée en Inde, depuis la Malaisie.

Alors que je pensais ne passer que 2 ou 3 jours dans le petit village de Tanah Rata, et, plus généralement, dans les montagnes brumeuses et humides des Cameron Highlands, je finis par m’installer pendant une semaine sous les combles d’une sympathique petite auberge. J’y retrouve tout ce qui me manquait ces derniers temps : des montagnes, de la fraîcheur, un accès à Internet, et surtout, des voyageurs de tous horizons.

Concernant ce dernier point, c’est un véritable festival ! Lorsque je ne suis pas dans les montagnes, dans les plantations de thé ou dans les restaurants locaux, je suis à l’auberge. Et lorsque je suis à l’auberge, je passe des heures entières à ne pouvoir rédiger que trois maigres lignes dans mon journal, faute d’enchaîner les rencontres mémorables. Je crois halluciner. Morbleu ! Mais où était donc passé le monde lorsque je moisissais seul sous la pluie ?

Comme pour enfoncer le clou, je fais notamment la connaissance des sympathiques Autrichiens Sarah et Merlin de ninety7days.tumblr.com, des non moins sympathiques Français Julie et Julien de jmjm89.tumblr.com, ainsi que du tout autant sympathique Suisse Dennis de kyototogeneva.wordpress.com. Tous les cinq s’apprêtent à partir pour, ou reviennent justement, d’Inde. Tous m’enjoignent presque de continuer dans cet axe.

Je crois aux signes. Et les signes se précisent.

J’envisage désormais sérieusement de décoller dans les prochaines semaines depuis Kuala Lumpur, la capitale malaisienne, pour Chennai, dans le sud-est de l’Inde. Le seul point en suspens reste la question de l’obtention du visa touriste, nécessaire pour pénétrer sur le territoire indien, et dont la demande depuis l’étranger se révèle fastidieuse.

La question du visa touriste indien

Obtenir des informations fiables et à jour concernant les possibilités d’une demande de visa indien sur passeport français depuis la Malaisie ou Singapour relève de l’exploit. Après quelques mails échangés avec les services consulaires des ambassades concernées et de nombreux avis consultés, j’apprends, sans comprendre pourquoi, qu’il est à cette heure très difficile pour un touriste français d’obtenir un visa touriste indien depuis l’un de ces deux pays.

Il m’aura fallu des heures de recherche pour arriver à ce constat. Je me sens un peu découragé.

En réalité, soyons clairs : il y a toujours moyen d’obtenir un visa. Cela demande du temps, de l’énergie, souvent de l’argent, mais en montant un bon dossier personnalisé, en contactant les bonnes personnes, puis éventuellement en payant les bonnes sommes, de nombreuses portes s’ouvrent. Pour le coup, je ne souhaite pourtant pas entrer dans la case du cas particulier ou employer des moyens illégaux pour l’obtention d’un simple visa touriste.

Je dresse donc la liste de mes options alternatives.

Si je souhaite me rendre en Inde, je me retrouve devant une pieuvre administrative, qui d’après ce que j’en sais m’offre notamment les autres choix suivants :

  1. Aller faire ma demande de visa à Bangkok, en Thaïlande.
  2. Aller faire cette même demande à Katmandou, au Népal.
  3. Faire une demande par correspondance auprès de VFS Global, qui est la société accréditée par l’Ambassade de l’Inde pour gérer les demandes de visas indiens, en France.

Notez que lorsque l’on n’a pour principal problème dans l’existence que celui de faire un choix entre partir pour Katmandou, Bangkok, ou se déplacer au bureau de poste le plus proche, il est envisageable de commencer à considérer que l’on est un homme heureux.

N’empêche que cette situation me crée des nœuds dans la tête car je n’ai jamais su apprécier le caractère monolithique des formalités administratives, quelles qu’elles soient.

Pendant quelques jours, je pèse le pour et le contre de chacune de ces solutions. En fait, j’y vois surtout du contre : même s’il s’agit de l’un des lieux les plus réputés pour faire une demande de visa touriste indien depuis l’étranger, je n’ai aucune envie de monter à Bangkok et encore moins d’y passer une semaine, en attendant l’hypothétique validation de ma demande de visa ; d’autre part, si je rêve du Népal depuis que je suis en âge de lire un planisphère, arriver à Katmandou à ce stade du voyage me semble bien trop prématuré, presque tricher, et je suis encore bien loin des sommets himalayens dans mon esprit ; enfin, je n’apprécie pas l’idée d’être séparé de mon passeport à l’étranger, surtout s’il est question de le confier à un service de poste quelconque.

J’ai beau envisager de nombreuses options, j’ai la sensation désagréable de me retrouver bloqué, et constamment de retour à la case départ, sans toucher 20 000 francs. Je me décide donc lentement, et à reculons. Je sais pourtant que je ne fais que repousser l’échéance, sans rien solutionner. Quand arrive le mardi 10 décembre 2013, je me suis presque résigné à monter sur Bangkok dans les prochains jours, dans l’unique but d’y obtenir mon visa.

C’est cet instant que choisissent les Doudoux pour pointer le bout de leur nez.

Le coup de grâce des Doudoux

Je suis assis à l’entrée de l’auberge à évaluer une énième fois toutes mes options, quand j’entends soudain parler français du coin de l’oreille. Cela m’intrigue. Je lève la tête et je rencontre ceux par qui tout est arrivé : les Doudoux de lasieattitude.unblog.fr.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le courant passe immédiatement. Après avoir travaillé quelques mois en Australie, Pauline et Jérémy — l’autre nom des Doudoux — ont décidé que le plus court chemin pour revenir en France ne serait pas le leur et qu’il serait de très bon goût de découvrir l’Asie avant de retrouver les Alpes et les tartiflettes.

Alors que nous parlons déjà depuis quelques heures et que je leur expose ma situation, j’entends prononcer pour la première fois de mon aventure les mots « Lanka » et « Sri », dans l’autre sens, et attachés. Pauline et Jérémy partent également en direction de l’Inde, dans quelques jours, et eux non plus n’ont pas encore de visas. Ils sont pourtant bien plus sereins que moi à ce propos. Pauline m’annonce : Il paraît que c’est super simple d’obtenir un visa touriste indien depuis le Sri Lanka ! Quant au visa touriste srilankais, il s’obtient quant à lui directement en ligne en moins de temps qu’il n’en faut pour cligner sept fois des yeux.

En l’espace de quelques minutes, Pauline et Jérémy viennent de renverser toutes mes certitudes. Brusquement, alors que je me trouvais dans un bien ennuyeux cul-de-sac, je sens qu’une nouvelle porte dérobée s’est ouverte en moi.

Le soir, après un dîner teinté d’éclats de rires, je leur annonce que je vais réfléchir à cette option. Je passe ensuite une partie de la nuit à me documenter sur le processus d’obtention d’un visa touriste indien depuis le Sri Lanka, le coût d’un éventuel billet d’avion vers cette île depuis la Malaisie, et, plus généralement sur le Sri Lanka lui-même. Il faut dire que les seules choses que je connaisse de ce pays, c’est que la capitale s’appelle Colombo, qu’il est peuplé aléatoirement de moines, d’éléphants et de militaires, et qu’il se relève tout juste d’une guerre civile officiellement terminée en 2009.

Je ne prends jamais de décisions importantes avant d’avoir laissé passer au moins une nuit. Mais voilà, quelque part, je sais très bien que, parfois, la sagesse revêt le masque de la folie. Et que cette nouvelle rencontre fortuite aura bien plus d’impact sur mon voyage que je ne veux bien oser me l’admettre ce soir. De nouvelles options plein la tête, je m’endors heureux, sourire aux lèvres, les yeux rivés sur la carte du monde, en me disant que le Sri Lanka, après tout, est sur la route de l’Inde, non ?.

En route vers le Sri Lanka

Le lendemain matin, mercredi 11 décembre 2013, je retrouve Pauline et Jérémy et leur annonce que ma décision est prise : tel un homme sous influence revendiquée, je partirai également pour le Sri Lanka pour y faire ma demande de visa touriste indien !

Quelques jours plus tard, le soir du samedi 14 décembre 2013, alors que je suis désormais à Ipoh et que j’ai fait la rencontre de Eric Lai dans la matinée, j’achète un aller simple à destination de Colombo au départ de Kuala Lumpur pour le vendredi 20 décembre 2013.

Ce billet, acheté en période de fêtes, me coûte la ronde somme de 201,80 €, là où 32 jours passés en Malaisie ne m’auront au final coûté en tout et pour tout que 396,99 €, hors coût dudit billet.

Pour un voyageur qui dépense peu d’argent sur la route, c’est un montant considérable. Le fait est que si l’on raisonne en termes d’argent-temps, avec cette somme, j’aurais pu continuer à voyager au moins deux semaines en Malaisie, pays que j’apprécie beaucoup et dont j’ai peu à peu appris les principaux codes.

Mais voilà, ma décision est prise, et je ne ferai plus marche arrière : dans moins d’une semaine, je pars pour le Sri Lanka !

Un nouvel axe pour La Piste Inconnue

Il aura fallu l’enchaînement patient et précis de tous ces événements et de toutes ces rencontres pour que je sois assis cette nuit à vous écrire ces mots depuis la côte sud du Sri Lanka. Malgré toutes les difficultés et tous les doutes accumulés récemment, choisir de venir découvrir ce pays méconnu aura été une bien belle décision à mes yeux. Cette aventure extraordinaire, profondément guidée par l’intuition, continue à me surprendre chaque jour. Et même si La Piste Inconnue semble parfois se perdre, de plus en plus, à chaque instant et pour rien au monde, je ne souhaiterais être ailleurs qu’ici et maintenant.

Suite à ce virage majeur, un nouvel axe se dévoile progressivement. Au moment où j’écris ces lignes, j’envisage de remonter lentement vers le Népal et l’Himalaya, à travers l’Inde. Depuis tout petit, cet ensemble de chaînes de montagnes que je n’ai jamais arpentées m’a toujours fait rêver. Quelque part, si j’atteins ce but, peut-être y trouverai-je finalement ce que je suis parti chercher.

La suite

Pour conclure par des considérations plus terre-à-terre, au jour de la publication de cet article, mon séjour de près d’un mois au Sri Lanka touche bientôt à sa fin, et je devrais décoller le vendredi 17 janvier 2014 pour Chennai et l’Inde. Pour la première fois depuis le début du voyage, j’appréhende très sérieusement le choc culturel que je ressentirai probablement à mon arrivée dans ce nouveau pays.

Nombreux sont les voyageurs qui m’ont parlé de l’Inde. Tantôt comme d’un pays merveilleux, tantôt comme du pays de tous les dangers. Assurément, l’Inde fait jaser. Pour tout vous dire, il est même intéressant de noter que ceux qui affichent les avis les plus catégoriques à son égard sont finalement ceux qui n’y ont jamais mis les pieds. De toutes les personnes que j’ai croisées et qui ont visité ce pays, toutes ont été unanimes sur deux points : l’Inde est un pays singulier — on m’a souvent parlé de notre planète en évoquant l’Inde d’un côté et le reste du monde de l’autre — et l’on ne ressort par indemne d’un long voyage solitaire en Inde.

Je ne sais pas comment interpréter tout ceci, mais ma curiosité est plus forte que mon appréhension, ma folie plus forte que mes peurs, et mon intuition plus forte que mes doutes. Alors, vous qui me suivez toujours, vous savez quoi ?

Allons-y, on verra bien !

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La ruelle

Publié par Audesou, le 30 décembre 2013 à 09:13

Samedi 14 décembre 2013. Il y a deux jours, un peu par hasard, j’ai débarqué à Ipoh, la ville la plus septentrionale de mon périple en Malaisie. Je ressors tout juste d’une semaine réparatrice passée dans la fraîcheur humide et nuageuse des Cameron Highlands. Semaine féerique, dont je tairai finalement sur ce carnet de route les aventures inoubliables et les rencontres magiques. Au moins pour un temps.

Ipoh, c’est l’une des plus grandes villes de Malaisie. Une ville riche, intéressante, une ville à facettes. D’aucuns y voient tantôt une capitale culinaire, tantôt un joyau d’architecture coloniale préservée. Les amateurs du cinéma d’action asiatique seront ravis d’apprendre qu’il s’agit du lieu de naissance de l’actrice Michelle Yeoh. Quant aux amateurs d’autres types d’actions asiatiques, ils savaient bien avant que je ne le découvre que la ville est l’un des plus importants foyers de prostitution de toute la péninsule. En vérité, je vous le dis, il y aurait matière à rédiger bien des papiers sur Ipoh. Et pourtant, je n’éprouve aucune envie de venir rapporter ici l’un de ces sujets. Aujourd’hui, mon intérêt est ailleurs.

En ce samedi matin ensoleillé, ma logeuse m’a conseillé la visite du Perak Tong, un temple bouddhiste creusé à même la roche, situé à quelques kilomètres au nord de la ville. Je suis donc en route. À pied. Je marche le long de l’une des principales rues de la ville en tentant plus ou moins adroitement de ne pas tomber dans les nombreux pièges tendus sous mes pas par les trottoirs malaisiens, jamais prévisibles, toujours sournois. Soudain, mon attention est attirée par une scène entraperçue du coin de l’œil. Je tourne la tête sur ma gauche. Là-bas, à quelques dizaines de mètres de ma position, un homme est en train de peindre le mur d’une ruelle parallèle.

Je décide d’aller à sa rencontre.

Il s’appelle Eric Lai. À 27 ans, cet enfant du pays est artiste peintre. Suite aux premiers échanges, je prends quelques pas de recul sur la scène qu’il vient tout juste de terminer. À cet instant, Eric ne sait pas que, si j’aime la photographie, je suis en revanche à peu près aussi sensible à la peinture qu’au carriérisme. Ce qu’il ne sait pas non plus, c’est qu’à travers ses peintures qui racontent une Malaisie vécue de l’intérieur, l’enfance et les instants volés, il vient de réussir à me toucher.

Est-ce dû aux circonstances de cette rencontre fortuite, au caractère souvent espiègle des scènes représentées ou tout bonnement à la grandeur de son talent ? Je l’ignore. Toujours est-il que, face à certains de ses tableaux, je comprends soudain que la peinture peut dégager autre chose qu’une odeur de vernis.

Me voilà qui remonte brusquement en arrière. Il y a une petite vingtaine d’année. Au temps des bandes de copains, où chacun tentait la négociation perdue d’avance avec ses parents, pour être le premier dehors et surtout pas le premier rentré. C’était le temps où nous avions toujours officiellement terminé nos devoirs avant de les avoir commencés. Celui où nous étions parfois dix-neuf, parfois trois, jamais seuls. Celui où la rue nous appartenait et devenait un immense terrain de jeu. Celui où notre territoire s’étendait peu à peu au fur et à mesure que les années défilaient, lentement. En ce temps, d’un buisson, nous faisions un château fort, et d’un vieux bidon, un moyen de nous déplacer. Fiers comme des princes sur nos petits vélos, il ne serait venu à l’esprit d’aucun d’entre nous de s’arrêter un jour sans faire monter dans l’air un nuage de fumée, dans un grand dérapage qui laminait nos pneus au grand dam de nos géniteurs. Nous ne baissions la tête que lorsque nous croisions les « grands ». Ceux qui avaient plus de 12 ans et qui se moquaient de nos chaussures à lampes. C’était aussi le temps des premières amours et des visages écarlates à la vue du regard des filles. C’était enfin le temps où l’on prenait son courage à deux mains et où l’on se déplaçait encore pour sonner aux portes.

Tout comme aujourd’hui, c’était le bon temps.

Je n’oublie jamais d’où je viens. Ni à qui ou à quoi je dois ce que je deviens. Cette pensée me suit, m’accompagne, chaque jour, en arrière-plan. Tandis que je marche dans cette ruelle, Eric et ses peintures ramènent cette pensée en pleine conscience et me font réaliser brusquement tout le chemin parcouru depuis le temps des jeux d’enfants jusqu’à cette ville de Malaisie dont j’ignorais tout.

Avant de le quitter, je demande à Eric pourquoi avoir choisi ce lieu pour exprimer son talent. Avec toute la simplicité du monde, il m’explique que c’est dans ces ruelles qu’il s’est construit, et que le fait que les gens les évitent aujourd’hui le peine, beaucoup. Avec ses peintures, Eric fait le pari d’interpeler les passants et de les amener à réaliser que l’on trouve également de la vie lorsque l’on ose s’aventurer hors des sentiers battus.

En ce samedi matin ensoleillé, Eric Lai l’a gagné, son pari.

La ruelle #1
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À force de n’être jamais chez soi...

Publié par Audesou, le 20 décembre 2013 à 09:00

Lundi 02 décembre 2013. Côte est de la Malaisie. Ville de Kuantan. Fin d’après-midi. Trempé jusqu’aux os après m’être absenté quelques heures, je suis de retour. Le temps de quitter mes vêtements dégoulinants et de m’habiller d’un corps sec et nu, je m’affale sur le lit.

C’est la mousson, ici.

Cette chambre très bon marché, tapie derrière l’une des portes d’un long couloir sombre que l’on atteint depuis le premier étage de l’arrière-salle d’un magasin, c’est encore une fois auprès des Chinois que je suis allé la chercher. On est d’abord surpris de voir un étranger débarquer, brisant par sa simple présence la routine tranquille, mais tant que le bon nombre de billets est posé sur la table, on ne pose pas de question.

Ce n’est qu’après y être rentré que l’on se rend réellement compte à quel point l’endroit est lugubre, au moins autant que chargé d’histoire. Sur les murs, entre les trous indiscrets maladroitement rebouchés par des bouts de papier, se côtoient dans un curieux cortège : promesses d’amour, comptes de marchandises, numéros de téléphones, poèmes, croquis et taches de sang. Au plafond, une flèche indique grossièrement la direction de la qibla tandis que, plus bas, le robinet déprimé pleure goutte à goutte ses milliers de larmes sans interruption, surplombé par le ventilateur qui tente, impuissant, de repousser au loin les effluves méphitiques qui planent dans l’air, et dont le roulement lancinant et perpétuel rappelle celui des vagues. Le tout, sous le regard brumeux de deux bouteilles en plastique, qui, posées là, semblent avoir toujours été, et desquelles on regrette d’avoir tenté de comprendre ce qu’elle pourraient bien contenir sitôt que l’on a commencé à y penser.

Si l’on décide de quitter le lit bancal et que l’on fait attention à éviter l’eau tombée au sol lors de l’entrée dans la pièce, il est possible de tendre le bras vers l’encadrement de la porte et d’allumer la veilleuse rouge, qui trône fièrement au-dessus de la fenêtre, qui ne mène, pour sa part, sur rien. Les ténèbres se font alors et, à travers le voile pourpre qui s’abat brutalement, on comprend soudain dans un spasme de dégoût que cette chambre mi-glauque, miteuse, et mi-bordel, a tout simplement tout pour déplaire.

Et pourtant, voilà que je dégaine l’appareil pour y consacrer une série.

Alors que je m’apprête à passer ma 393e nuit consécutive hors de France et que je devrais bientôt atteindre les 25 ans, je réalise que ce lieu qui m’aurait fait fuir il y a quelques années est aujourd’hui devenu chez moi. Dehors, j’avais froid et de l’eau boueuse jusqu’au-dessus des genoux, tandis que j’arpentais péniblement les rues. Ici, il fait chaud, je suis au sec, et quelques bananes m’attendent, accrochées à la porte. On a fait pire comme refuge.

Demain, déjà très loin, cette chambre ne sera plus qu’un souvenir gravé parmi tant d’autres dans ma mémoire. La Piste Inconnue continuera ailleurs. J’ignore totalement où. Au fond, cela n’a aucune importance. Car demain soir, où que je sois, une fois encore, je dormirai chez moi.

À force de n’être jamais chez soi, on finit par être chez soi partout.

À force de n'être jamais chez soi... #1
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