Le chemin est la destination

Publié par Audesou, le 30 janvier 2014 à 06:12

Il y a deux choses que je partagerai toute ma vie avec l’ensemble des fils de cheminots de notre vieille nation. La première : je suis fils de cheminot. La seconde : j’ai passé mon enfance et mon adolescence dans les trains.

Si mon inclination naturelle à évoluer sur d’autres rails que ceux que connaissent bien les fils de la jet set a perduré après ma majorité, elle s’est toutefois brusquement adoucie, voire presque tue, lorsqu’a démarré La Piste Inconnue.

La malédiction est tombée lors de mon arrivée au Sri Lanka, quand j’ai appris que la voie ferrée qui relie la montagneuse Ella à la ronflante Kandy figure au palmarès des plus belles liaisons ferroviaires de notre planète. Je savais alors déjà que l’un des grands moments de mon parcours sur l’île prendrait vie derrière une motrice, sourire aux lèvres, de la fumée plein les narines, et un moucheron délicatement plaqué par le vent sur chacune de mes huit incisives.

Tous ceci nous amène au dimanche 5 janvier 2014.

Après un séjour inoubliable dans les montagnes srilankaises, je m’apprête ce matin à reprendre la route. Ou plutôt, les rails. C’est en empruntant le fameux tronçon dont je vous parlais ci-haut que je m’apprête à quitter Ella et à redescendre sur Kandy. Je dois récupérer là-bas mon visa touriste indien, suite à une demande déposée une quinzaine de jours plus tôt.

Lorsque le train arrive en fanfare dans sa robe bleue et pimpante, toute la gare — si calme jusqu’à présent — se met en mouvement dans un véritable branle-bas de combat. On charge, on décharge, on crie, on salue, on tourne, on se retourne, on saute dans tous les sens, et au final, d’aucuns ne savent plus très bien s’ils sont en partance ou s’ils viennent tout juste de débarquer ici.

J’assiste tout d’abord à cette scène depuis le refuge rassurant de l’immobilité, mais vient le moment où il m’en faut sortir pour espérer quitter les lieux un jour. Certaines astuces n’ont pas de frontières. Profitant de la cohue sur le quai, je décide de me faufiler entre les marchands, les agents, les chiens errants et les formes humaines en tous genres, pour descendre subrepticement sur la voie, et contourner le train. Une fois de l’autre côté, protégé de l’agitation par l’imposante masse métallique de ma future monture, je trouve rapidement et avec plaisir ce que je suis venu chercher : une porte libre.

Il en faut peu pour être heureux, dirait l’autre.

Toujours en quête d’intensité, je me hisse en 3e classe. La classe du peuple. Qui est également celle des voyageurs. Tranquillement, je m’installe au niveau de cette porte qui — comme toutes les autres portes du train — restera ouverte durant tout le voyage.

Très vite, me voilà en route. En sept heures, je parcours 163 kilomètres. Je vous laisse le soin de calculer la vitesse moyenne de celui qui ne gagnerait peut-être pas tout à fait la course contre le TGV de la LGV Est. M’enfin, cela ne m’importe pas. Je prends en fait un plaisir immense et je souhaiterais presque ne jamais arriver, bercé par le rythme lent et chaotique de cette vieille machine, qui s’arrête parfois brusquement, lorsque des animaux ou même des gens sont présents sur la voie. Sans compter que je n’ai payé mon billet que 130 roupies srilankaises, cotées à 0,73 euro le jour de l’achat. J’aime toujours autant les images. Dites-vous qu’au Sri Lanka, début 2014, une journée de train en 3e classe coûte plus ou moins le prix d’une baguette de pain en France. Voilà.

Sept heures de trajet jusqu’à Kandy, donc. Sept heures que je passe appareil photo au poing dans le cadre de cette porte de train, érigé pour l’occasion en un domaine privé, dans des conditions de sécurité qui feraient pleurer des larmes de sang aux équipes de sûreté de la SNCF.

Devant mes yeux, le Sri Lanka s’anime et défile, comme toujours, pétillant, tel un kaléidoscope géant. À la mode srilankaise, je suis tantôt suspendu au-dehors, tantôt plaqué au mur, tantôt par terre, tantôt plié, tantôt debout. Mais toujours barbe et cheveux au vent, sens en éveil, les yeux et l’objectif de celui qui m’accompagne grands ouverts.

Alors que la lenteur de la chose m’aurait fait perdre patience il y a quelques années, à une époque où je souhaitais trop souvent être déjà arrivé avant même d’être parti, rien ne semble aujourd’hui altérer mon sourire. Malgré l’exiguïté et le manque évident de confort, du haut de ma petite plateforme, je réalise que j’ai fini par comprendre peu à peu l’une des leçons majeures enseignées par La Piste Inconnue, ces derniers mois.

À savoir : le chemin ne mène pas à la destination, le chemin est la destination.

Le chemin est la destination #1
Le chemin est la destination #2
Le chemin est la destination #3
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Le chemin est la destination #24

Déjà 2 traces de pas sur ce bout de piste :

1. Marine Philomen Roux, le 30 janvier 2014 à 16:26

Ou comment dit-on déjà ?

« Ce n’est pas la destination qui importe, c’est le chemin. »
En plein dedans ;-)

Tout ça donne envie d’embarquer également dans le Transsibérien.

2. Audesou, le 9 février 2014 à 17:52

Elle me tente également, cette voie. Pas sûr de pouvoir se suspendre aux portes des trains qui l’empruntent sans risquer l’engelure, ceci dit.

Peut-être plus tard, sur La Piste Inconnue ?

Vous aussi, laissez vos traces sur la piste...