L’île du Sud : les grands moments

Publié par Audesou et Koonshu, le 1er août 2013 à 17:07

C’est depuis Sydney que j’écris et publie la seconde partie du récit de nos grands moments en Nouvelle-Zélande. La journée est particulière, consacrée entièrement à l’écriture sur ce carnet de route. Hier, l’ami Nicolas est venu nous retrouver pour la journée depuis Surfers Paradise. Demain, ce sont les amis Cindy et Renaud qui débarquent ici, alors qu’ils doivent actuellement être en plein vol, partis il y a des heures depuis Paris. Ils devraient passer les deux prochaines semaines à nos côtés, sur La Piste Inconnue.

Seconde partie du récit, donc. Toujours agrémenté par des captures issues des vidéos de la GoPro de Koonshu. Après les grands moments vécus sur l’île du Nord, découvrez aujourd’hui ceux vécus sur l’île du Sud, tout au long du chemin parcouru entre le lundi 17 juin et le mardi 23 juillet 2013.

Si cet article paraît interminable, c’est que, cette fois encore, il y en a eu quelques-uns.

Bon voyage.

La rencontre avec Adam à Spring Creek

Après avoir quitté Wellington et l’île du Nord ce matin, nous voici au bord d’une route de Spring Creek sur l’île du Sud, en ce morne après-midi du lundi 17 juin 2013. Quelques heures que nous faisons du stop déjà et, malgré une première course d’une vingtaine de kilomètres sur cette nouvelle île, entre Picton — où le ferry nous a débarqués plus tôt dans la journée — et notre position actuelle, force est de constater que non, ça ne prend pas.

Le moral est bas, maintenu au sol qu’il est par l’isolement, le froid et la pluie incessante.

Comme souvent, c’est au moment où l’espoir commence à décliner que le salut arrive. Il prend aujourd’hui les traits d’un trentenaire néozélandais qui stoppe son pick-up de l’autre côté de la route avant de baisser sa vitre et de m’adresser la parole. C’est insolite, mais si Adam s’est arrêté, c’est pour me demander où il peut se procurer une softshell comme la mienne car il recherche une veste verte sans succès depuis des semaines. Aucunement pour nous prendre en stop, donc. D’autant qu’il file vers l’est et que nous souhaitons partir à l’ouest.

Mais il en faut visiblement plus pour empêcher la magie d’opérer, à nouveau.

L'île du Sud : les grands moments #1

C’est avec vue sur l’océan Pacifique, dans le petit village côtier de Rarangi que nous déposons nos sacs ce soir-là, chaleureusement accueillis par sa famille et des amis déjà présents. Premier soir sur cette nouvelle île et — pour la troisième fois déjà depuis notre départ d’Auckland — nous voilà hébergés gracieusement par un Néozélandais rencontré dans la rue.

L'île du Sud : les grands moments #2

Tandis que je passe une bonne partie de la soirée à jouer aux échecs contre Adam et son meilleur ami, entre le grondement des vagues et les peaux d’opossums qui sèchent près du feu dans le salon, une kyrielle de pensées me traversent. En fait, celles-là mêmes qui me troublaient quand, depuis le pont du ferry, je quittais l’île du Nord. Aurons-nous autant de chance dans l’île du Sud ?, me demandais-je ce matin. Je réalise soudainement que je le crois, oui. Et cette nuit-là, alors que je médite les yeux vers les étoiles, je repense à l’Alchimiste de Coelho qui disait :

Quand on veut une chose, tout l’univers conspire à nous permettre de réaliser notre rêve.

Ce voyage est extraordinaire.

Le petit-déjeuner des Kareareas

Si nous nous levons aux aurores, le matin du mardi 18 juin 2013, c’est pour retrouver Adam qui nous a donné rendez-vous très tôt. La veille, nous lui avons demandé de nous parler de son métier et, plutôt qu’une réponse rapide, il nous a proposé de nous emmener ce matin jusqu’à son bureau afin de nous montrer en quoi consiste son travail avant que nous ne reprenions le stop vers Motueka, quelques 170 kilomètres plus à l’ouest.

Adam exerce une profession aussi originale que rare. Ancienne et noble, aussi. Tout comme Darbon dans La Horde du Contrevent, Adam est fauconnier.

L'île du Sud : les grands moments #3

Bien renseigné aurait été l’éclairé qui l’aurait parié. Quelques dizaines de minutes plus tard, nous voilà tous les quatre à servir le petit-déjeuner de ses protégés, des Faucons de Nouvelle-Zélande, appelés également Kareareas par le peuple Maori. Après avoir fait connaissance, tandis que les faucons se plaisent désormais sur nos têtes, nous avons le droit à un vrai cours d’ornithologie qui nous est dispensé de manière si vivante, qu’encore une fois je me sens obligé de le transcrire ici :

  • Les Kareareas sont les seuls faucons, et, plus généralement, les seuls oiseaux de proie, endémiques de la Nouvelle-Zélande.
  • Les rapaces aiment se poster en hauteur. Cela explique pourquoi les faucons de Adam se sentent à l’aise, serres cramponnées sur nos têtes.
  • Les Kareareas pondent leurs œufs à même le sol, ce qui rend les jeunes faucons très vulnérables aux attaques des prédateurs.
  • La femelle Karearea est bien plus grosse que le mâle.
  • Les Kareareas peuvent a priori se montrer très agressifs et n’hésiteraient pas à attaquer un homme pour protéger leur progéniture.
  • Voltigeurs du ciel particulièrement véloces, les Kareareas chassent les oiseaux en plein vol.
  • Certains ornithologues les considèrent comme des rapaces menacés.
L'île du Sud : les grands moments #4

Suite à cette rencontre qui ne manque ni de piquant ni de caractère, quelques cheveux et poils en moins plus tard, nous reprenons la route, riches de ces nouvelles découvertes.

La rencontre avec Jenn à Havelock

Si, depuis que j’ai amorcé ce voyage, j’ai totalement perdu la notion des jours qui était mienne avant cette nouvelle étape de ma vie, c’est parce que nous vivons souvent plusieurs journées en 24 heures sur La Piste Inconnue. À présent arrivés dans la petite ville de Havelock, nous sommes toujours le mardi 18 juin 2013.

Bien qu’une seule course ait suffit après avoir quitté Adam, nous avons mis quelques heures à parcourir les 25 kilomètres jusqu’ici. Déjà, nous constatons que le stop semble plus difficile dans l’île du Sud : les véhicules se font plus rares. Alors, quand nous nous remettons à tendre le pouce au bord de la route et qu’après seulement dix minutes, une jeune femme arrive seule dans une voiture pleine à craquer, je n’imagine pas une seule seconde qu’elle va s’arrêter pour nous. Et pourtant...

L'île du Sud : les grands moments #5

Son prénom est Jenn. Canadienne de 22 ans, elle vit en colocation à Christchurch. Retenez ce détail, on dit qu’il a son importance pour la suite de l’histoire.

Christchurch, ou notre ultime étape sur cette île. Dans un peu plus d’un mois, nous y décollerons pour Sydney après avoir découvert cette ville que l’on dit encore meurtrie par les récents tremblements de terre qui l’ont frappée. Le séisme de 2011, Jenn l’a vécu et elle nous le raconte, de l’intérieur. Hyperactive, passionnée, sympathique et spontanée, elle fait route vers Nelson après être partie depuis la seconde plus grande ville du pays sur un coup de tête la veille au soir. 350 kilomètres plus tard, elle a jugé en nous croisant que tout notre matériel combiné au sien devait bien rentrer dans sa voiture, quand n’importe quelle autre personne n’aurait même pas commencé à y penser. Et elle a visiblement eu raison. Grâce à elle, nous sommes de nouveau en mouvement.

Alors que nous arrivons à Nelson une heure plus tard et que nous lui faisons part de nos plans pour la suite — à savoir : nous diriger vers Motueka pour récolter nourriture et informations avant de débuter dans la foulée notre troisième Great Walk, la Abel Tasman Coast Track —, nouveau rebondissement. Telle une disciple de La Piste Inconnue, elle nous propose de partir vers là où on ne sait pas et de nous accompagner lors de la première journée de marche, le lendemain. Je salue et apprécie cette forme de spontanéité bien trop rare.

C’est donc sous la pluie du village de Marahau, porte d’entrée de la piste que nous entamerons le lendemain, qu’une Britannique, une Canadienne et deux Français s’endorment ce mardi après avoir parcouru près de 140 kilomètres depuis Havelock dans l’après midi.

La troisième Great Walk : Abel Tasman Coast Track

Mercredi 19 juin 2013, nous débutons la Abel Tasman Coast Track.

Cette piste familiale qui longe la côte pendant 54,4 kilomètres est, sur le papier, la plus accessible de toutes les Great Walks. Ce que le papier ne mentionne pas, c’est que la tempête a fait rage ces dernières semaines dans le Abel Tasman National Park, qui est le théâtre de cette randonnée. Des litres et des litres d’eau sont tombés incessamment du ciel et ont imbibé le sol, dévastant totalement certaines parties de la piste qui, sans être franchement impraticable, ne ressemble parfois plus à rien. Sans compter le froid pénétrant, du jamais vu dans cette région.

L'île du Sud : les grands moments #6

C’est dans ces conditions que nous évoluons pendant 4 jours — dont un passé seuls et stoïques à l’abri des éléments, à l’intérieur d’une hutte — sur la Abel Tasman Coast Track, entre arbres arrachés du sol avant d’être tombés en travers de la voie et invraisemblables stigmates des récents glissements de terrain. En gardant sur notre gauche la montagne et sur notre droite la mer de Tasmanie, c’est les journées rythmées à la fois par les attaques incessantes de centaines d’escadrons de sandflies et par les traversées d’estuaires à gué dans l’eau glacée que nous avançons, pas à pas.

L'île du Sud : les grands moments #7
L'île du Sud : les grands moments #8

C’est aussi durant cette marche que je repense à Andrew McAuley, lui l’aventurier, lui dont j’avais suivi l’ultime aventure en 2007 depuis la France, lui qui est finalement selon toute vraisemblance mort il y a plus de six ans à la surface de cette étendue d’eau qui s’étend sous mes yeux. J’ai parfois la sensation particulière de marcher dans un cimetière.

En plein hiver, cette piste pourtant à la base sans caractère — il faut le dire — arrive à mettre notre mental à l’épreuve. Il n’en faut pas plus pour que ce chapitre de notre aventure mérite son titre de « grand moment ».

L'île du Sud : les grands moments #9

La découverte de The Langford Store, la rencontre avec Will à Bainham, et les livres qui changent la vie

Sautons à pieds joints dans le temps. Nous sommes désormais le matin du mercredi 26 juin 2013, en pleine route vers notre quatrième Great Walk : la Heaphy Track.

Il convient à ce stade de préciser que derrière « nous », il n’y a plus que deux personnes ce matin-là. Samantha, malade depuis quelque jours, a choisi de rester à Takaka pour reprendre tranquillement des forces dans un backpacker. Rendez-vous est donné plus tard et plus au sud, dans le petit village de Punakaiki, sur la côte ouest, après que nous ayons de notre côté parcouru les 78,4 kilomètres de la Heaphy Track.

Nous avons quitté Samantha très tôt ce matin, tant nous savons que vouloir atteindre l’entrée orientale de cette nouvelle Great Walk dans la journée et en stop — entrée située au fin fond de la Aorere Valley, quasi inhabitée, au bout d’une piste d’une quinzaine de kilomètres qui traverse trois rivières et ne mène que à la Heaphy Track — relève presque du non-sens et qu’il nous faudra être au moins aussi patients que chanceux.

Après déjà deux courses et plus de quarante kilomètres parcourus, nous voilà arrivés vers 09:30 dans le hameau de Bainham, où nous avons été déposés devant une sorte de vieille boutique. Là, un panneau indique que l’entrée de la Heaphy Track n’est plus située qu’à 15 kilomètres. Nous convenons tous les deux de nous y rendre en marchant si nous sommes toujours bloqués ici à 14:00. À cet instant, je sais qu’il nous faudra une chance hors du commun pour obtenir une course à partir de ce point. Ce que j’ignore, c’est que je suis à quelques minutes de la rencontre avec un homme qui me marquera à vie.

La vieille boutique, seule au milieu de nulle part, c’est The Langford Store. Ouverte pour la première fois en 1928. Dans le contexte historique néozélandais, on appelle cela une antiquité. Tandis que nous débutons l’attente, je commence à discuter avec son propriétaire, qui m’explique qu’il fermera ce soir la boutique pour l’hiver, avant de ne la rouvrir qu’au printemps prochain. Nous avons de la chance.

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Cet homme, seul derrière son comptoir, c’est Will. Alors que je lui achète de quoi déjeuner, mon guide intérieur qui, comme à son habitude, a déjà tout compris avant que je ne réalise que quelque chose est en train de se produire, m’intime de voir au-delà de son masque de vendeur. Je regarde ses yeux, eux ne portent jamais de masque. Il arbore ce regard calme, profond et clair, que seuls portent les affranchis. Je suis stupéfait tant je sais d’expérience que c’est une rencontre rare. Je ne connais pas cet homme, je ne l’ai jamais rencontré. Je ne l’explique pas, mais je le sais : lui aussi est en quête. En quête de bonté, et de liberté.

En l’espace de quelques minutes, la résonance s’installe quand ce qui a démarré comme un échange superficiel et convenu entre un vendeur et son client se transforme en un dialogue d’une épaisseur et d’une profondeur que l’on pourrait aisément qualifier de rarissime.

Je ne prendrai pas le temps de transcrire ce dialogue qui aurait pu durer des jours, ni celui d’exprimer ici ce que nous avons pu lui et moi comprendre, exprimer, partager ou apprendre ce mercredi matin dans la Aorere Valley. Toutefois, je dépose ci-dessous la liste de six livres que Will me transmet quand, une heure trente plus tard, de nouveaux clients font leur apparition.

Voici la liste des six livres qui ont changé sa vie :

  1. Ishmael, de Daniel Quinn.
  2. Conversations with God, de Neale Donald Walsch.
  3. The Last Hours of Ancient Sunlight, de Thom Hartmann.
  4. Tuesdays With Morrie, de Mitch Albom.
  5. Secret Life of Water, de Masaru Emoto.
  6. Way of The Peaceful Warrior, de Dan Millman.

Je ne crois définitivement pas en grand chose. Je ne crois en aucun dieu et encore moins au destin. Pour autant, tout comme Will, je crois que l’on ne trouve jamais un livre, mais que ce sont toujours les livres qui viennent nous trouver, le moment venu.

Peut-être que ces six livres viendront vous trouver, vous aussi.

La dernière course avant la Heaphy Track

Je ne suis pas encore remis de mes émotions lorsqu’un nouveau grand moment fait déjà son apparition.

Les « nouveaux clients » dont je parlais plus haut sont arrivés il y a quelques minutes et se sont arrêtés un instant pour découvrir The Langford Store. Ils comptent ensuite faire demi-tour et repartir vers la côte, bientôt. Deux vans. Une famille. Certains sont australiens, d’autres néozélandais. Tous sont sympathiques. La conversation s’engage.

Un quart d’heure plus tard, l’un des hommes propose de nous conduire jusqu’à l’entrée de la piste, 15 kilomètres plus loin, avant de repartir vers le nord avec le reste de la troupe. D’après les informations que nous possédons, le chemin qui nous sépare de l’entrée de la Great Walk est non seulement une piste caillouteuse, mais nous devrions également avoir à traverser au moins trois rivières à gué. Pas tout à fait le genre de chemins où nous emmènerions un van. Pour autant, après évaluation, l’homme est prêt à tenter le coup. Alors, forcément, nous aussi !

Sans trop le réaliser, il est environ 11:30 quand nous partons pour notre dernière course avant la Heaphy Track.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que nous avons été bien renseignés. Entre les pierres, les ornières et l’eau, le van en a vu de toutes les couleurs lorsque nous arrivons à destination. Nous sommes heureux d’avoir réussi le défi d’arriver jusqu’ici en stop en une matinée. Jusqu’à ce que, subitement, alors que nous sortons tous du véhicule, ce grand moment devienne un triste grand moment.

L’un des pneus du van est à plat.

L’homme ne se départit pas de son calme. Koonshu est dépité. Je suis dépité. Bref, nous sommes dépités. Tant bien que mal, nous assistons celui qui, sans nous connaître et sans rien nous demander en échange, nous a aidés, dans l’installation de la galette de secours à la place de la roue abîmée. Il nous glisse en souriant : Voilà ce qui arrive quand on veut faire son Bon Samaritain ! Et c’est avec ce même sourire qu’il repart au pas, quelques minutes plus tard, après que nous nous soyons excusés pour la gêne occasionnée.

Nous ne sommes a priori pas directement responsables de cette mésaventure. Pour autant, tandis que je fais mes premiers pas sur la Heaphy Track, ce mercredi 26 juin 2013, j’espère de tout cœur que cet événement n’aura pas une influence trop négative sur sa capacité à venir en aide à des inconnus par la suite.

Tristement inexistante chez la plupart des individus, cette aptitude fragile est à mes yeux tellement importante qu’elle ne devrait jamais être souillée. Parce que, c’est très probable, d’autres inconnus arriveront après nous. Et parce que nous sommes toutes et tous l’inconnue ou l’inconnu de quelqu’un.

La quatrième Great Walk : Heaphy Track

Notre quatrième Great Walk, la Heaphy Track, a peu de choses à envier au grand Tongariro Northern Circuit dont je vous parlais dans le précédent article.

L'île du Sud : les grands moments #11

Du mercredi 26 au samedi 29 juin 2013, durant quatre jours et trois nuits au cœur du Kahurangi National Park, nous arpentons à deux les presque quatre-vingts kilomètres de cette piste mythique qui débute dans les terres en plein massif pour finir par longer la côte ouest de l’île du Sud, le dernier jour. Partir de la montagne pour arriver à la mer par la seule action de ses pas, ne trouvez-vous pas vous aussi ce concept fascinant ?

L'île du Sud : les grands moments #12

Parcourir la Heaphy Track, c’est évoluer à travers 4 écosystèmes différents, des montagnes couvertes de hêtres aux collines brumeuses à perte de vue, et des forêts de Podocarpus à celles, plus rares, de palmiers Nikau. C’est aiguiser sa technique d’allumage du feu de charbon. C’est apprécier d’être isolé loin de tout. C’est éviter les Kéas fauteurs de troubles. C’est s’amuser avec les Wekas chapardeurs. C’est admirer la beauté brute de la nature, si bien mise en valeur par l’aura froide, humide et bleutée de l’hiver. C’est, c’est...

C’est aussi des choses que je ne vous ai pas encore racontées.

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Dans la forêt lointaine

Heaphy Track. Premier jour de marche. Toujours cette mémorable journée du mercredi 26 juin 2013.

Après 17,5 kilomètres d’ascension tranquille depuis l’entrée de la piste, nous arrivons peu avant le coucher du soleil à la Perry Saddle Hut, où nous décidons de faire étape. Il doit être seulement 17:00 mais les nuits sont particulièrement longues à cette période de l’année dans l’île du Sud. Longues, et froides. Tandis que, vers 19:30, je me prépare au sommeil, je les entends crier. On ne m’a pas menti. Ils sont là, nombreux, quelque part dans la forêt, à l’ouest. Demain matin, c’est décidé, nous partirons à leur recherche avec Koonshu. Avant que le jour ne se lève.

Même protégés par les murs de la hutte, la nuit a été difficile dans nos pauvres sacs de couchage qui affichent pauvrement une température de confort de 11 °C. À 05:00, alors que le réveil sonne, nous ne trouvons pas la force de nous lever. Pour autant, nous savons que ce jeudi 27 juin 2013 est peut-être le jour de la seule et unique occasion de notre vie. Alors tant bien que mal, à 05:45, nous sommes de nouveau sur la piste.

Nous marchons tout d’abord une vingtaine de minutes sans allumer nos lampes à travers la forêt et la nuit noire. Aucun bruit. Jusqu’à l’instant où nous les entendons à nouveau, à quelques centaines de mètres, quelque part devant nous. Nous allumons nos lampes et avançons de plus belle. Derrière chaque pierre, chaque ombre, chaque silhouette, nous pensons deviner la forme de ceux que nous recherchons avant de voir nos espérances s’effacer dans le faisceau de lumière. Nous les entendons toujours. De plus en plus fort. Nous nous rapprochons. Nous pressons le pas. Mon cœur palpite. Sans m’en apercevoir, je sème Koonshu alors que nous traversons une rivière.

Soudain, notre persévérance paie lorsque l’un d’eux apparaît là — du haut de sa quarantaine de centimètres et pourtant presque invisible dans la pénombre — dix mètres devant moi. L’espace d’un instant, mon cœur semble s’arrêter brièvement. Puis, c’est la décharge d’adrénaline. Test de réalité. Tous mes sens sont en éveil. Je perçois chaque son, chaque odeur, chaque détail. Les yeux écarquillés et les pupilles dilatées comme pour y laisser pénétrer le maximum de lumière, je tente de graver l’instant dans ma mémoire.

Celui que j’observe se met maintenant à bouger lentement. Il va quitter la piste. Je peste intérieurement contre Koonshu qui n’arrive toujours pas et c’est seulement alors que ce dernier fait nonchalamment son apparition. J’aurais dû pester plus tôt. Arrivé à mes côtés, lui aussi voit ce qui est apparu devant nous l’espace d’un instant avant que la silhouette fugace ne glisse sans bruit vers les bois.

La nuit toujours sur les épaules, nous passons ensuite de longues minutes à attendre silencieusement dans la zone, dans l’espoir d’apercevoir à nouveau celui que nous étions venus trouver. Sans succès.

Quelques heures plus tard, nous rencontrons sur la piste un ranger d’une quarantaine d’année fasciné par ce que nous avons à lui raconter. Lui, malgré toute une vie sur l’île, n’en a jamais vu.

C’est un choc pour nous. Nous prenons conscience peu à peu de la magie de l’instant que nous venons de vivre. Je réalise alors que je n’ai pas immortalisé cette rencontre avec mon appareil photo, que je portais pourtant autour du torse. Je comprends que je n’en avais en fait pas l’envie. Sans autres preuves que nos témoignages respectifs, ce grand moment a tout l’air d’une fable. J’entends déjà les compères Sébastien et Clément crier au parjure en noyant ma boîte mail de « Pics or It Didn’t Happen ». Et pourtant les amis, en cette fin de mois de juin 2013, sur la Heaphy Track à l’autre bout du monde, nous l’avons recherché et nous l’avons rencontré.

Le mythique Kiwi roa.

La rencontre avec Grant à Greymouth et la découverte du lac Kaniere

Laissons passer quelques jours suite à ces événements peu communs, et reprenons le fil de l’histoire le dimanche 30 juin 2013.

Ces derniers jours, nous avons réalisé que nous ne pourrons pas — c’était l’idée de départ — découvrir toutes les Great Walks, car les quatre suivantes (Kepler Track, Milford Track, Routeburn Track et Rakiura Track) sont soit fermées à cause des risques liés à l’hiver, soit trop au sud pour nous permettre de prendre notre avion dans les temps, le 23 juillet 2013 à Christchurch. Sur les conseils d’un australien rencontré à Takaka, nous avons donc opté pour un nouvel objectif : la Copland Track, qui démarre 26 kilomètres au sud du petit village de Fox Glacier.

En route pour cette nouvelle randonnée, nous sommes en pleine session de stop à Greymouth, sur la côte ouest, et voyageons de nouveau à trois, après avoir retrouvé Samantha qui se porte à présent comme un charme. Voilà maintenant tout l’après-midi que nous attendons sous un temps maussade, quand, après plus de cinq heures, un homme s’arrête et nous invite à passer la nuit chez lui.

L'île du Sud : les grands moments #24

Ce qui deviendrait presque commun en Nouvelle-Zélande est en fait toujours aussi extraordinaire, et nous en gardons la vive conscience. Depuis notre départ d’Auckland, c’est la cinquième fois que nous sommes invités dans ce pays qui commence à avoir des allures de pays de cocagne.

L'île du Sud : les grands moments #25

Grant habite une grande maison de bois au bord du lac Kaniere, dans le petit village du même nom. Le lendemain matin, rebondissement. Alors qu’il doit être 06:30 et que nous sommes sur le départ, il nous annonce que la heavy rain (pluie torrentielle d’une intensité inconcevable) tombe sur la Copland Track, et qu’il serait trop dangereux pour nous de nous y aventurer, car la piste traverse de nombreuses rivières, souvent sans ponts. Alors que nous étions censés ne passer qu’une seule nuit ici, chaque jour, nous scrutons tous ensemble l’évolution de la course des nuages. Grant nous accueille finalement pour huit nuits à Kaniere, entre le dimanche 30 juin et le lundi 8 juillet 2013. C’est le temps qu’il faut pour que le ciel se dégorge d’eau dans cette partie du globe.

Huit nuits. C’est à peine croyable.

Durant cette grosse semaine pluvieuse que nous passons à Kaniere, Grant nous laisse régulièrement seuls chez lui, parfois pour plusieurs jours. Tout comme Evan l’avait fait, plus tôt, dans l’île du Nord. Cette confiance me touche. Beaucoup.

L'île du Sud : les grands moments #26

Lorsque Grant n’est pas présent, nous passons du temps à marcher dans les environs
avant de rentrer nous sécher près du feu, nous passons du temps à lire, à écrire, à regarder le DVD de Man vs. Wild que Grant a laissé près de la télévision en partant. Et, c’est surprenant, mais l’activité la plus emblématique de ce séjour chez Grant est et restera toujours pour nous le Monopoly. Au rythme effréné de deux à trois parties par jour au coin du feu, nous passons là des moments hors du temps.

L'île du Sud : les grands moments #27
L'île du Sud : les grands moments #28

Lorsque Grant est présent, il prend le temps de nous faire découvrir les environs dans sa vieille voiture. Il nous parle de l’histoire de Stanley Graham. De son amour pour sa terre. De ses combats contre ceux qui veulent transformer les berges de son lac en centre touristique. Il nous apprend à lire la météo dans les nuages de la côte ouest, nous parle de survie, de ses expériences passées.

Encore un Homme qui nous a protégé et a veillé sur nous sans nous connaître et sans rien nous demander. Encore un Homme que nous n’oublierons pas.

Le jour du départ de Kaniere, dans mon carnet de voyage, j’écris :

Voyager comporte des risques. Je ne suis pas de ceux qui le nient. Et si le plus grand risque était en fait celui d’aller au-devant de rencontres qui auront un impact durable sur nos vies ? Et si le plus grand risque était en fait d’être confronté sans cesse à de nouvelles idées et d’en arriver à finalement devoir se délester peu à peu de toute forme de déni, quitte à prendre le risque de voir clairement ce que nous sommes ? On ne prend pas ce risque lorsque l’on ne voyage pas. Et si derrière ce risque se cachait l’une de ces choses que je suis venu chercher ?

Le passage à Fox Glacier

Nous quittons Grant et le lac Kaniere aux aurores, le lundi 8 juillet 2013. Et c’est pour rencontrer quelques heures plus tard les sympathiques Californiens Jonathan et Jason alors que nous faisons du stop transis de froid à Hokitika. Ils ont loué un van et sont en vacances une semaine en Nouvelle-Zélande. Ils ont de la place pour nous. Nous partons avec eux.

L'île du Sud : les grands moments #29

Déjà, un nouveau chapitre de l’aventure est en cours d’écriture. Tandis que nous roulons vers le sud, toujours sur la côte ouest, je regarde les paysages défiler et cela m’amène à constater à quel point nous plongeons sans arrêt tête la première vers de nouvelles expériences, sans toutefois perdre la volonté d’aller de l’avant. L’être humain est décidément une belle et dangereuse machine, tant il est capable de s’adapter partout.

Nous passons toute une journée avec Jonathan et Jason, avant de nous séparer le lendemain matin, lorsque qu’ils nous déposent aux portes de la Copland Track. Nous sommes alors le mardi 9 juillet 2013.

Entre temps, nous découvrons en leur compagnie le Fox Glacier, qui ramène à nos souvenirs l’Argentine et le bien plus imposant Perito Moreno. Nous prenons également la mesure de la chance que nous avons eue lorsque nous apprenons dans un centre d’informations que la Copland Valley (la vallée où est tracée la Copland Track) était fermée jusqu’à ce jour, et ce, depuis une semaine, à cause du danger représenté par la pluie et les torrents. Enfin, alors que nous faisons le choix de dormir dans un backpacker ce soir-là, j’ai le plaisir immense de tomber par hasard sur le mythique Black Sheep que je souhaitais revoir depuis mon arrivée en Nouvelle-Zélande.

L'île du Sud : les grands moments #30
L'île du Sud : les grands moments #31

Des moments aussi simples que beaux que inattendus. De grands moments, quoi.

La Copland Track et la rencontre avec Alex et Sam

Le mardi 9 juillet 2013, nous débutons donc notre ultime randonnée en Nouvelle-Zélande. La Copland Track, piste tranquille du Westland Tai Poutini National Park, sur laquelle nous passons deux nuits.

L'île du Sud : les grands moments #32

De la Copland Track, je retiens en premier lieu une erreur, qui aurait pu, dans certaines situations, avoir des conséquences dramatiques. Alors que nous passons la première nuit dans la minuscule Architect Creek Hut, lessivés par la pluie qui tombe à nouveau ce jour-là, malgré trois heures de tentatives infructueuses, je ne parviens pas à allumer un feu suffisamment sécurisé pour nous réchauffer. J’ai beau connaître le triangle du feu sur le bout des doigts et avoir allumé des centaines de feux dans ma vie, je n’y arrive pas, faute de n’avoir pas su cette fois trouver un allume-feu suffisamment sec dans cet environnement humide où même la hutte prend l’eau.

« On trouve toujours de l’allume-feu suffisamment sec pour faire brûler du bois mouillé, quelle que soit la situation ! », c’est ce que je pensais car je l’avais vérifié partout jusqu’à présent. Eh bien, la Nouvelle-Zélande m’a fait comprendre que je me trompais. Ce mardi, alors que nous n’avons pas d’autre choix que de patienter durant plus de 13 heures dans nos sacs de couchage en attendant le lever du jour, je décide de toujours intégrer désormais un allume-feu sec à mon équipement de survie.

L'île du Sud : les grands moments #33
L'île du Sud : les grands moments #34
L'île du Sud : les grands moments #35

Malgré le coup dur de la veille, le moral remonte vite le lendemain tant la marche dans cette vallée est grandiose. Le soleil est revenu. Et nous nous apprêtons à vivre une nouvelle rencontre, pour le moins magique.

L'île du Sud : les grands moments #36
L'île du Sud : les grands moments #37

Le soir du mercredi 10 juillet 2013, nous arrivons à la Welcome Flat Hut dans la neige. Là, nous rencontrons un couple de Néozélandais, Alex et Sam. Après seulement cinq minutes d’échanges, ils nous proposent de ressortir de la vallée avec eux le lendemain. Et de nous déposer à Queenstown, après une étape d’un soir dans la maison du père de Sam, qui habite le minuscule village de Haast Beach.

Depuis l’entrée de la vallée, Haast Beach est à plus de 120 kilomètres. Auxquels s’ajoutent plus de 200 kilomètres jusqu’à Queenstown. En plus d’une belle rencontre, nous gagnons en l’espace d’un instant la certitude d’une nuit au chaud et d’une course qui nous permettra de passer de l’autre côté des Southern Alps, dont la traversée en stop nous effrayait un peu. Une course sur deux jours, jusqu’à présent du jamais vu sur La Piste Inconnue.

Le jeudi 11 juillet 2013, nous quittons la Copland Track heureux, le cœur et l’esprit légers.

Chacun sa technique

Fin d’après-midi du jeudi 11 juillet 2013, nous sommes invités pour ce qui est désormais la sixième fois par des locaux. Rituel hivernal, à peine arrivé dans la maison de son père à Haast Beach, Sam annonce qu’il va nous allumer un feu et nous offre par la même occasion un nouveau grand moment.

Triplement sensible suite à la mauvaise expérience de l’avant-veille, je suis très attentif et sa technique m’intrigue. Sans un mot, il commence par empiler les bûches dans le foyer. Puis, il sort à l’extérieur pour chercher de quoi allumer le feu. Je patiente. Au moment où il repasse la porte, c’est la stupeur. Il revient avec un lance-flammes.

L'île du Sud : les grands moments #38

C’est l’histoire de la vie. Quand certains crèvent de froid car ils ne réussissent pas à enflammer du bois mouillé, d’autres n’y vont pas par quatre chemins et démarrent un feu avec des bûches qu’ils embrasent au lance-flammes. Non mais !

Chacun sa technique, hein.

L’avant-dernière course

Si je m’attarde un instant sur cette avant-dernière course avant de raconter la dernière, c’est qu’elle vaut elle aussi son pesant d’or et qu’elle mérite sa place ici.

Mardi 16 juillet 2013, nous sommes déposés vers 12:00 à Ashburton, à environ 90 kilomètres de Christchurch. Toujours à la force du pouce. L’espoir d’arriver dans la deuxième plus grosse ville du pays le soir même est bien présent. Tandis que je pars déposer quelques déchets dans une poubelle, une femme dans un pick-up s’arrête au niveau de Samantha et Koonshu. Elle peut nous déposer à Rakaia, une trentaine de kilomètres plus loin. Si près du but, même de petites courses nous conviennent. À cent à l’heure, nous partons avec elle. Sur le plateau du pick-up.

L'île du Sud : les grands moments #39

Fermement calé, en observant les conducteurs qui nous suivent, je mesure à quel point l’environnement et la pression sociale jouent un rôle important dans notre perception du monde. Ce qui était devenu peu à peu une habitude pour nous en Argentine, au Chili ou en Bolivie — voyager sur le plateau d’un pick-up — est ici considéré comme une offense à la loi, l’ordre et la sécurité. À raison ou non, là n’est pas la question. Toujours est-il que toutes celles et ceux qui nous ont croisés ce jour-là nous ont pris pour des fous. Et que, de mon côté, j’ai senti mourir peu à peu la sensation de liberté ressentie de manière si intense en Amérique du Sud sur une pareille monture.

La liberté et la sécurité siègent sur les plateaux opposés d’une même balance et se regardent en chiens de faïence. Le tout sécuritaire révoque toute forme de liberté. Et qui dit liberté absolue dit anéantissement de la notion de sécurité.

À méditer.

La dernière course

Elle travaille pour Interpol et j’ai presque envie de l’embrasser. L’émotion est grande vers 13:30, ce même mardi 16 juillet 2013. Elle, c’est la femme qui nous a accordé la dernière course de 60 kilomètres jusqu’à notre destination finale depuis Rakaia. Cette fois-ci, nous réalisons tout de suite ce que nous venons d’accomplir.

Nous venons d’arriver en plein centre-ville de Christchurch.

Sept semaines plus tôt, nous avions pris la route avec le défi un peu fou de traverser les terres du pays exclusivement en stop. Tout défile. L’île du Nord, l’île du Sud, toutes nos rencontres, tous nos souvenirs. Nous sommes exténués mais heureux. Je ressens exactement la même sensation de bonheur que celle éprouvée lors de notre arrivée à Ushuaïa, alors que nous étions partis en stop depuis Puerto Madryn trois jours plus tôt, en décembre dernier.

Nous l’avons fait.

La rencontre avec les colocataires de Jenn à Christchurch

Toujours le mardi 16 juillet 2013, toujours dans le centre-ville de Christchurch.

Là où La Piste Inconnue est merveilleuse, c’est que — non contents d’être arrivés à destination et d’avoir réussi notre défi — nous serons accueillis dans quelques heures par les colocataires de Jenn. Rappelez-vous, Jenn, la jeune femme canadienne rencontrée en stop un mois plus tôt, le mardi 18 juin à Havelock, et qui habite à Christchurch. Bien qu’elle soit désormais en Afrique pendant un mois, elle nous a invité chez elle pendant une semaine, jusqu’au mardi 23 juillet 2013, le jour de notre départ vers Sydney.

L'île du Sud : les grands moments #40

Nous sommes accueillis comme des rois ce soir-là, et finissons notre voyage en Nouvelle-Zélande de la plus belle des façons.

La soirée artistique et le pantomime

Chaque jour passé dans cette maison où évoluent un nombre inappréciable de personnes à la personnalité riche, car affirmée et singulière, signe le début d’une nouvelle histoire. Voici l’une d’elle, érigée au titre d’avant-dernier grand moment.

Nous sommes le mercredi 17 juillet 2013 au soir. Lendemain de notre arrivée à Christchurch. Tandis que je suis en train de traiter mes mails que je n’avais volontairement jamais consultés depuis mon départ d’Auckland — une expérience que je vous recommande, cf. à ce propos le livre « J’ai débranché » de Thierry Crouzet ainsi que toutes les réflexions qui ont précédé et qui ont suivi, à lire avec du recul —, Bazi, le talentueux colocataire musicien, arrive dans notre chambre. Samantha est absente, Koonshu en train de lire dans la pièce. Il nous propose de l’accompagner à une « soirée artistique ». Une soirée artistique en Nouvelle-Zélande, je ne sais pas ce que c’est. Je suis occupé, je n’ai absolument pas le temps. Mais je suis curieux, alors, accompagné de Koonshu et de deux Américaines, je décide de le suivre.

« Allons-y, on verra bien ! »

L'île du Sud : les grands moments #41

Nous rencontrons à cette soirée un homme d’une trentaine d’années qui se réclame ouvertement artiste, mais que le bon sens qualifierait aisément d’étrange. Il s’exprime dans un langage particulièrement soutenu et enroulé et se déplace avec un style que je ne saurais nommer : est-ce une forme rare d’élégance ou le comble du ridicule ? Tout de violet vêtu, tout le monde l’appelle Mr. Purple. Je cherche une quelconque référence avec les personnages du film Reservoir Dogs de Quentin Tarantino. En vain. Dans tous les cas, il ne passe pas inaperçu.

Lorsque nous apprenons avec Koonshu qu’il ne porte que du violet depuis ses 4 ans suite à sa rencontre avec un chanteur habillé de cette même couleur lorsqu’il avait cet âge, le mystère s’épaissit.

L'île du Sud : les grands moments #42

En fin de soirée, alors que nous nous apprêtons tous à rentrer et que je classe l’affaire sans suite, Mr. Purple, qui a maintenant le visage peint tel Pierrot, nous demande de l’espace ainsi que quelques minutes d’attention. Tous les invités restants — c’est-à-dire une douzaine — reculent alors contre les murs afin de lui laisser suffisamment de place au centre du salon. Nous n’avons aucune idée de ce qui va se produire. Une forme de tension sourde s’installe dans le silence pesant. C’est alors qu’une musique se fait entendre.

Soudain, son talent se déploie et nous cloue instantanément tous à terre.

L'île du Sud : les grands moments #43
L'île du Sud : les grands moments #44

Les pièces du puzzle se mettent en place et tout s’explique enfin. Entre nos yeux et Christchurch dont les lumières sont visibles à travers la baie vitrée, Mr. Purple vient de se transformer en un remarquable pantomime à tendance contorsionniste et nous offre dans ce salon un numéro digne du Cirque du Soleil.

Nous restons bouche bée durant les quelques minutes que dure l’époustouflante prestation. Après une standing ovation bien méritée, c’est un peu sous le choc que nous rentrons toutes et tous, en plein milieu de la nuit, ce matin-là.

Décidément, certains savent bien cacher leur « je ».

La route vers l’Australie

Je ne ressens que peu de choses tandis que je quitte la Nouvelle-Zélande pour l’Australie, en ce début d’après-midi du mardi 23 juillet 2013. C’est rare. Presque nouveau. Alors que je m’envole depuis Christchurch jusqu’à Sydney, alors que je change de pays et que mon tour du monde avance, alors que je viens de passer plus de deux mois exceptionnels, je me sens vide, absent. Presque mélancolique. Mon corps se déplace au-dessus des nuages, tandis que mon esprit vagabonde je ne sais où.

Je crois qu’à cet instant précis la très forte excitation que je ressens à l’idée de découvrir l’Australie contrebalance parfaitement la très forte peine que je ressens à l’idée de quitter la Nouvelle-Zélande, et de laisser derrière-moi à jamais une autre partie de mon aventure, encore une fois extraordinaire.

Le regard en arrière, le regard en avant

Cette expérience sur Aotearoa, le pays du long nuage blanc, aura marqué nos corps et nos âmes. Tout au long de ces deux longs articles, j’espère avoir su vous faire voyager. J’espère aussi avoir su toucher vos consciences, et que le poids de mes mots ne sera pas vain mais vous aidera à passer à l’action, quelle qu’elle soit.

Écrire ces textes m’aura permis de réaliser beaucoup de choses, mais aura également fait naître de nouvelles questions. Notamment : après toutes ces aventures, suis-je toujours cet homme qui a quitté Auckland fin mai 2013 ? Et qu’en est-il de celui qui a quitté Paris début novembre 2012 ?

Sur ce, je lève les yeux de l’écran. Et je vois... l’Australie.

À bientôt, sur La Piste Inconnue.

Déjà 4 traces de pas sur ce bout de piste :

1. Fana, le 5 août 2013 à 14:13

Coucou les aventuriers,
Décidément, votre périple Néo-zélandais ne vous laissera probablement pas indemne sur la nature humaine....
Arrivés avec quelques à-priori sur l’hospitalité des autochtones, vous avez pu découvrir (ou plutôt confirmer) qu’il faut toujours se méfier des dits à-priori ;-)))
Quant à la nature au sens propre, ce pays est vraiment somptueux, riche, et varié... On comprend mieux le choix des producteurs de la trilogie....

Au plaisir de vous lire encore et encore....

2. Audesou, le 17 août 2013 à 03:46

C’est vrai qu’il y aura eu un avant et un après la Nouvelle-Zélande, sur La Piste Inconnue.

3. Matt, le 17 août 2013 à 13:46

Yo,
J’adore vous lire. Pas juste pour le contenu (qui est incroyable) mais surtout pour votre style d’ecriture tres soigne.
J’avoue que j’ai ete un peu jaloux en vous lisant. Vous n’etes reste que 2 mois en NZ mais votre experience a ete vraiment riche, sans doute plus que la mienne en plus de 5 mois ^^. Sans doute un manque de spontaneite et de sociabilite de ma part, hehe.
En tout cas, je suis ravi de savoir que tout s’est bien passe pour vous. Ne changez rien a votre facon de penser et vivez. Vous etes sur la bonne voie (je ne sais pas exactement laquelle, mais sur la bonne).

A un de ces jours,
Erf... Encore desole pour les accents : clavier qwerty

4. Audesou, le 18 août 2013 à 13:07

Matt,

Merci pour tes encouragements.

Je comprends ce que tu ressens. Figure-toi que c’est ce que je ressens aussi lorsque je lis tes aventures ou celles de certains autres voyageurs. Comme quoi, tout est question de perception.

Je lis actuellement Maktub de Paulo Coelho. Je t’en cite ci-dessous un extrait, qui m’a interpelé :

Si vous suivez le chemin de vos rêves, engagez-vous vraiment. Ne vous gardez pas une porte de sortie — par exemple, une excuse du genre : « Ce n’est pas tout à fait ce que je voulais. » Cette phrase contient en elle le germe de la défaite.

Assumez votre chemin, même si vous devez marcher d’un pas incertain, même si vous savez que vous pouvez mieux faire. Si vous acceptez vos possibilités présentes, vous progresserez certainement à l’avenir. En revanche, si vous niez vos limites, vous ne vous en libérerez jamais.

Envisagez votre chemin avec courage et ne craignez pas les critiques d’autrui. Surtout, ne vous laissez pas paralyser par l’autocritique.

Ces mots m’ont fait grandir. J’espère qu’ils pourront t’aider aussi.

Vous aussi, laissez vos traces sur la piste...