L’île du Nord : les grands moments
Publié par Audesou et Koonshu, le 21 juillet 2013 à 10:36
L’appel aux curieux lancé dans le dernier article n’a pas fait se lever les foules et c’est tant pis. Partis en stop depuis Auckland il y a près de deux mois, nous voilà désormais de retour sur les ondes depuis Christchurch, d’où nous décollerons le mardi 23 juillet 2013 pour Sydney et l’Australie, après avoir réussi la traversée du pays des kiwis.
L’hiver néozélandais ? Eh bien, nous y avons survécu !
Nouvelle expérience éditoriale, je fais le choix de diviser le récit de cette aventure en deux articles, un pour chacune des deux îles principales, à commencer par l’île du Nord où nous avons atterri le mardi 16 mai dernier. Et de ne me concentrer que sur les grands moments. Il y en a eu quelques uns.
La première partie est donc sous vos yeux. La seconde, pour l’instant dans ma tête. J’espère que vous prendrez autant de plaisir à découvrir ce qui a été la suite de nos aventures depuis Auckland que nous avons eu de frissons à les vivre.
Une note, toutefois : afin de pouvoir publier ce papier avant de décoller pour Sydney, les images qui illustrent cet article ne sont pas des photos en bonne et due forme, mais des captures de vidéos issues de la GoPro de Koonshu. Navré pour la qualité, je prendrai peut-être le temps de développer et publier de vraies photographies de la Nouvelle-Zélande plus tard. Voyons tout d’abord comment ce récit sera reçu.
À toi, celle ou celui, qui arrivera au bout de cet article et de son pendant qui suivra : merci d’être toujours là...
Les débuts à Auckland
Après plus de six mois en Amérique du Sud, c’est ici que notre aventure en Nouvelle-Zélande commence, le jeudi 16 mai 2013.
Auckland, c’est la ville de la découverte de ce nouveau territoire qui s’offre à nous. De la découverte d’un nouveau peuple. Ô joie, pour la première fois depuis des mois, nous perdons les étiquettes d’étrangers qui nous collaient au front, au moins jusqu’à ouvrir la bouche !
Auckland, c’est également la ville où nous préparons pendant près de deux semaines notre aventure et où nous décidons finalement de relever le défi d’envoyer tout l’équipement non nécessaire à Christchurch, d’où nous nous envolerons pour l’Australie le mardi 23 juillet 2013, et de parcourir les terres du pays exclusivement en stop, tentes fraîchement achetées sur le dos. C’est aussi le lieu où nous retrouvons Samantha quelques jours après notre arrivée, où nous avons le droit à une maison pour nous tous seuls et où nous nous empiffrons de sushis, étonnamment bon marché dans ce recoin du globe.
Nous gardons un bien beau souvenir de notre passage ici, malgré des journées de sombres doutes. La sympathie des Néozélandais — qui, non, n’est pas un mythe — y est sans doute pour beaucoup.
Dans mon carnet de voyage, la veille de notre départ depuis la plus grande ville de Nouvelle-Zélande, j’écris que le confort est un piège vicieux qui engourdit lentement les corps, les esprits et les consciences
. Je mesure la quantité de détermination et de courage dont il nous faudra faire preuve pour oser sortir du cocon douillet où nous avons vécu ces derniers jours, grâce à l’hospitalité débordante de l’amie Lina et celle de sa mère Alicia.
Le lendemain, qui est aussi le mercredi 29 mai 2013, nous sortons sous la pluie légère et claquons derrière-nous une porte qui ne se rouvrira plus. Nous dépassons nos peurs et nous reprenons la route vers l’aventure. Vers le sud. Vers l’hiver. Vers l’inconnu.
La première course
En théorie, il est très difficile de sortir du cœur d’une grosse ville en stop. Surtout à trois. Surtout avec une quinzaine de kilos chacun sur le dos. La première course qui nous a permis de sortir de l’emprise de la cité, première petite victoire, est donc un grand moment.
Tenter le stop passif dans ces conditions est illusoire. En pleine ville, nous nous postons à un feu au niveau d’une voie d’accès à la State Highway 1, qui part vers le sud, et démarrons le stop actif en sollicitant les conducteurs susceptibles de nous accueillir. Un quart d’heure plus tard, sans vraiment le réaliser, nous sautons dans l’habitacle confortable d’une Subaru Impreza et démarrons sur les chapeaux de roues avant de filer vers le sud à toute vitesse, conduits par un sympathique Néozélandais qui nous offre sans le savoir notre premier ticket pour l’aventure.
Le premier réveil à Ngongotaha
Nous sommes le matin du jeudi 30 mai 2013, et nous nous réveillons à Ngongotaha — petit village sis une dizaine de kilomètres au nord de Rotorua — où nous avons passé la nuit après un total de 6 courses et plus de 200 kilomètres depuis notre départ d’Auckland, la veille.
Il a fait -4 °C cette nuit.
Nos tentes, montées à l’abri des regards, sont givrées. Alors que je tente d’ôter la couche de glace avec un chiffon, ce dernier se charge d’eau et devient solide comme une pierre après quatre minutes. Un homme passe, et nous annonce que le pire hiver depuis 30 ans arrive. Je serre les dents. Pas un mot n’est échangé. Instant de doute. Comme à chaque fois, je me dis que ce défi est peut-être cette fois-ci trop ardu et hors limite. J’ai peur d’entraîner Koonshu et Samantha vers des épreuves que nos corps autant que nos esprits ne pourront pas supporter. Je repense au confort dont nous jouissions la veille à la même heure.
C’est à la fois un grand moment et un dur réveil sur La Piste Inconnue.
La rencontre avec Damien, Sam et Cecilia à Murupara
Midi du jeudi 30 mai 2013, même journée. Après deux courses en stop, nous débarquons de manière totalement inopinée à Murupara, nous qui nous dirigeons vers le théâtre de notre première Great Walk, Lake Waikaremoana.
Alors que nous descendons tout juste du pick-up, nous faisons la connaissance de Damien, un très sympathique globetrotteur français amoureux de lettres et de nature, qui partage la même vision du voyage que nous. Le courant passe immédiatement. Puis, coup sur coup, celle de Sam et Cecilia. Trois rencontres en rafale, qui viennent quasi instantanément s’ancrer en lettres d’or dans l’histoire de La Piste Inconnue.
Une heure plus tard, nous sommes tous ensemble invités à partager un repas de fish and chips dans l’église de Sam. Plus fort encore, nous sommes invités ce soir en compagnie de Damien à passer la nuit gratuitement dans l’une des maisons de cette même église car c’est tous les quatre que nous avons décidé de repartir pour le lac le lendemain.
Cet après-midi, je le passe à écouter Sam me parler de son parcours de vie. Presque incroyable, mais jugez donc par vous-même : Maori de cœur et de sang ; mastodonte tatoué ; sourd de naissance ; il entend pour la première fois puis apprend à parler à 8 ans alors qu’un cri déchire ses tympans, celui de sa mère qui le défend sous les coups de son père, honteux d’avoir mis au monde un fils handicapé ; puis, c’est la spirale de la moquerie et des humiliations avant celle de la drogue et de la violence ; jeune adulte, il devient alcoolique, voleur de voitures et maître de gang ; jusqu’au jour où sa vie change radicalement lorsqu’il s’apprête à lever la main sur sa femme le lendemain d’une nuit arrosée, et que son fils de deux ans l’en empêche ; par un concours de circonstances très particulier, il comprend subitement l’origine de sa souffrance interne et choisit à compter de ce jour de consacrer tout son temps et son énergie à aider autrui ; rapidement, il monte une église chrétienne catholique, et c’est là que nous nous intervenons, à Murupara.
Quant à Cecilia, vieille femme Maori, au parcours de vie cryptique tout comme Sam, elle est ce genre de femmes dont on dit qu’elle est la bonté et la générosité incarnée. Et cela est déjà beaucoup.
Alors que nous souhaitions rejoindre le lac dans la journée, nous passons donc finalement avec plaisir une nuit à Murupara en nous réchauffant grâce au four et aux plaques de cuisson. Pour la première fois en Nouvelle-Zélande, nous sommes hébergés par des hommes et des femmes qui étaient le matin même de parfaits inconnus pour nous.
Nous sommes partis la veille, et à ce stade, la Nouvelle-Zélande vient déjà à mes yeux de gagner sa place sur le podium de La Piste Inconnue, aux côtés de l’Argentine et de la Bolivie.
Le stop à 4
Le lendemain, nous sommes le vendredi 31 mai 2013, et nous avons donc décidé de partir avec Damien en direction du lac Waikaremoana afin de marcher quelques jours ensemble à quatre. D’après nos informations, cette route est très peu empruntée car elle se transforme en piste sinueuse après quelques kilomètres. Sans compter que nous sommes maintenant huit : quatre sacs et quatre voyageurs.
Nous nous préparons à une attente longue et difficile.
Qu’à cela ne tienne ! Sous les premiers rayons du soleil, nous débutons le stop, en nous séparant en deux groupes de deux le long de la route. Le froid est mordant. Après seulement une demi-heure, l’incroyable se produit. Une femme — seule — s’arrête à mon niveau. Un échange rapide, une demande, un temps d’évaluation et une réponse plus tard, et cette femme Maori met à terre tous les statisticiens du monde en invitant quatre étrangers inconnus dont trois hommes dans son véhicule alors qu’elle s’apprête désormais à rouler une centaine de kilomètres loin de tout.
Nous passons deux heures en sa compagnie, à rire, stimulés et heureux que nous sommes toutes et tous d’avoir osé la confiance, et à apprendre toujours plus de la culture Maori, qui nous était totalement inconnue il y a quelques semaines.
La première Great Walk : Lake Waikaremoana
C’est grâce à cette jolie rencontre que nous pouvons débuter dès le 31 mai 2013 notre première Great Walk : Lake Waikaremoana. Arriver si tôt ici était inespéré, le périple s’annonce bien. Nous sommes déposés juste à l’entrée de la piste, et démarrons une heure plus tard après une pause déjeuner sous un soleil magnifique qui peine à réchauffer l’air très frais. Le temps est idéal pour passer quelques journées à l’extérieur.
La marche dans la forêt vierge qui environne le lac est accessible, agréable et originale. J’en suis surpris, mais au final, nous voyons très peu le lac. Avant l’arrivée de l’homme sur l’île, la majorité du territoire était a priori recouverte de forêts semblables, qui ne ressemblent en rien à ce que j’ai pu croiser jusqu’à présent en Europe ou ailleurs. J’ai parfois l’impression de marcher dans un studio de cinéma tellement ce que mes sens perçoivent me paraît irréel. Je réalise soudain que toute forme de forêt vierge en France a probablement disparu, ainsi que la chance que j’ai de toucher ces Podocarpus immenses et de sentir l’odeur humide et suave de la mousse qui les entoure. Sans parler des fougères, omniprésentes en Nouvelle-Zélande, au point d’en être devenu l’emblème.
Parcourir une terre naturelle où l’on ne reconnaît rien est une expérience rare et étrange. Durant ce trek, j’éprouve la même sensation de désorientation que celle ressentie lors de l’arrivée au Brésil en novembre dernier, lorsque je découvrais alors pour la première fois de ma vie le ciel étoilé de l’hémisphère sud, et que j’apprenais à m’orienter avec la Croix du Sud et à faire le deuil temporaire de Alpha Ursae Minoris, qui a longtemps guidé mes pas nocturnes.
Nous passons au total trois nuits sur cette piste de 46 kilomètres, entre le vendredi 31 mai et le lundi 3 juin 2013.
Durant la première nuit, nous dormons pour la première fois dans une hutte du Department Of Conservation très bien équipée, et faisons la rencontre d’une vingtaine de jeunes, qui, même s’ils n’en ont pas l’air, sont en plein cours de sport. Partir marcher des jours en pleine nature, voilà qui m’aurait bien plus fait vibrer à l’époque que de courir vingt minutes en boucles stupides autour d’un stade, marcher sur une poutre ou faire du cheval d’arçons !
Le deuxième soir, une fois toutes les tentes montées, j’allume un petit feu pour notre équipe de quatre, quand de grosses voix en provenance du lac m’interpellent. La nuit tombée, petit feu est devenu véritable brasier et ses flammes dépassent les deux mètres, alimenté qu’il est par trois pêcheurs néozélandais particulièrement sympathiques qui mettent un point d’honneur à le charger de combustible autant qu’à partager leur repas avec nous. En Nouvelle-Zélande, ce sont visiblement des arbres entiers que l’on fait brûler. Dont acte !
Tandis qu’il gèle dehors, il doit faire au moins 35 °C à trois mètres du foyer.
Une fois la marche terminée, nous décidons tous de revenir en stop à Murupara pour y passer une nouvelle nuit ainsi que retrouver Sam et Cecilia avant de repartir dès le lendemain vers le sud.
La rencontre avec Denise à Turangi
Une nouvelle fois, nos plans ont changé.
Nous sommes désormais le matin du jeudi 6 juin 2013. Après avoir passé une semaine avec nous, Damien a quitté Murupara la veille, et c’est un peu tristes que nous l’avons salué une dernière fois. De notre côté, si nous y sommes toujours, c’est parce que Sam nous a proposé de patienter jusqu’à ce jeudi dans l’une de ses maisons à Murupara. Il part vers Turangi aujourd’hui, et peut nous y conduire. Devant le mauvais temps qui fait rage depuis notre retour à la civilisation et la générosité de son offre qui nous permet de passer du temps avec les locaux, nous avons accepté sa proposition.
C’est donc près de 150 kilomètres plus loin, à Turangi, au sud du lac Taupo, que nous nous apprêtons de nouveau à planter nos tentes dans la nuit froide, ce soir-là. Quand, une nouvelle fois, se produit un événement extraordinaire.
Tandis que Samantha et Koonshu cuisinent sur le bord d’une route de campagne, je pars chercher un lieu où planter nos tentes, car les sites trouvés jusqu’à présent pourraient éventuellement faire l’affaire, mais ne sont pas exempts de défauts. À mon retour, de l’eau de cuisson ou de Koonshu, je ne sais plus très bien deviner qui est en ébullition à travers la nuit noire. Ce dernier m’annonce médusé qu’alors qu’ils cuisinaient tranquillement, une Néozélandaise qui passait là en voiture s’est arrêtée à leurs côtés. Très vite, elle a proposé de repasser dans une heure et de nous héberger tous les trois pour la nuit. Je suis sans voix.
Elle s’appelle Denise, elle est encore une fois Maori et, comme promis, elle est de nouveau présente quelques dizaines de minutes plus tard. Nous finissons de manger chez elle. De la rue, nous passons à la chambre avec chauffage et à la maison avec douche. De sans domicile fixe, nous devenons invités. Dans la maison, quelque part, sa nièce et son fils, tous deux plus jeunes que moi. Nous ne les verrons que très peu, ce jeudi soir. Un instant plus tard, Denise repart pour la nuit au chevet de son père malade, en ville. Je comprends qu’elle ne dormira même pas ici.
Son geste profondément intuitif et altruiste bouleverse totalement certains de mes piliers moraux, et soulève en moi de très douloureuses questions. J’ai l’objectif aussi naïf que clair et avoué de devenir jour après jour un homme bon, juste et libre, mais aurais-je été capable de faire de même ? Très probablement, mais pourtant devant le doute je tremble un peu. Et si je n’étais pas aussi bon et généreux que je ne le pense, serais-je capable de l’admettre sans risquer l’effondrement mental ? À 24 ans, alors que le geste de cette femme vient se déposer avec le poids infini des choses simples sur la pile de toutes mes expériences passées, je réalise subitement que la bonté et la générosité doivent par définition être sans limites pour être authentiques. Et que l’on ne devrait pas se contenter d’un niveau suffisant si tant est que l’on aspire à devenir meilleur chaque jour.
Et puis, il y a ce texte, dont l’auteur est apparemment inconnu, qui est placardé en grand sur le mur de l’entrée :
Today we have bigger houses and smaller families. More convenience, but less time. We have more degrees, but less common sense. More knowledge, but less judgement. We have more experts, but more problems. More medicine, but less wellness. We spend too recklessly, laugh too little, drive too fast, get angry too quickly, stay up too late, read too little, watch TV too much, and pray too seldom.
We have multiplied our possessions, but reduced our values. We have learned how to make a living, but not a life. We have added years to life, not life to years. We have taller buildings, but shorter temples. Wider freeways, but narrower viewpoints. We spend more, but have less. We buy more, but enjoy it less. We have been all the way to the moon and back, but have trouble crossing the street. We have conquered outer space, but not inner space. We have split the atom, but not our prejudice. We write more, but learn less. Plan more, but accomplish less. We have learned to rush, but not to wait. We have higher incomes, but lower morals. We are long on quantity, but short on quality.
These are times of fast food and slow digestion. Tall men with short character. More leisure, but less fun. More kinds of food, but less nutrition. Two incomes, but more divorces. Fancier houses, but more broken homes.
That is why you should promise that as of today you do not keep anything for a special occasion because every day you live is « a special occasion ». Search for knowledge, read more, sit on your front porch and admire the view without paying attention to your needs. Spend some time with your family and friends. Eat your favourite food, and visit the places you love. Life is a chain of enjoyment, not only about survival. Do not save your best perfume, use it everytime you want to. Beware of phrases like « One of these days ... » and « Someday ... » ! Let’s write those letters we thought to write one of these days. Let’s tell our family and friends how much we love them. Do not delay anything that adds laughter and joy to your life. Every day, every hour, every minute is special and you never know if it will be your last ...
Soit, en français :
Aujourd’hui, nous avons des maisons plus grandes et des familles plus petites. Plus de confort, mais moins de temps. Nous avons plus de diplômes, mais moins de bon sens. Plus de connaissances, mais moins de jugement. Nous avons plus d’experts, mais plus de problèmes. Plus de médicaments, mais moins de bien-être. Nous dépensons n’importe comment, rions trop peu, conduisons trop vite, nous fâchons trop rapidement, restons debout trop tard, lisons trop peu, regardons trop la télévision, et prions trop rarement.
Nous avons multiplié nos possessions, mais amenuisé nos valeurs. Nous avons appris à gagner notre vie, mais pas la vie. Nous avons ajouté des années à la vie, pas de la vie aux années. Nous avons de plus grands bâtiments, mais des temples plus petits. Des autoroutes plus larges, mais des points de vue plus étroits. Nous dépensons plus, mais possédons moins. Nous achetons plus, mais apprécions moins. Nous avons parcouru tout le chemin jusqu’à la lune et en sommes revenus, mais nous avons du mal à traverser la rue. Nous avons conquis l’espace, mais pas notre espace. Nous avons divisé l’atome, mais pas nos préjugés. Nous écrivons plus mais apprenons moins. Préparons plus, mais accomplissons moins. Nous avons appris à nous dépêcher, mais pas à attendre. Nous avons des revenus plus élevés, mais moins de vertus. Nous sommes champions pour la quantité, mais pas pour la qualité.
De nos jours, c’est restauration rapide et digestion lente. C’est le temps des grands hommes à la petite personnalité. De plus de loisirs, mais moins d’amusement. De plus de types de nourriture, mais moins de nutrition. De deux revenus, mais de plus de divorces. Des maisons plus fantaisistes, mais des ménages brisés.
C’est pourquoi vous devriez promettre qu’à partir d’aujourd’hui vous ne gardez rien pour une occasion spéciale parce que chaque jour que vous vivez est « une occasion spéciale ». Recherchez la connaissance, lisez plus, asseyez-vous sous votre porche et admirez la vue sans prêter attention à vos besoins. Passez du temps avec votre famille et vos amis. Mangez votre plat préféré, et visitez les endroits que vous aimez. La vie est une chaîne de plaisir, pas seulement une question de survie. N’économisez pas votre meilleur parfum, portez-le chaque fois que vous le voulez. Méfiez-vous des phrases comme « Un de ces jours... » et « Un jour... » ! Mettons-nous à écrire ces lettres que nous avons pensé à écrire un de ces jours. Disons à notre famille et nos amis combien nous les aimons. Ne remettez pas au lendemain ce qui ajoute du rire et de la joie dans votre vie. Chaque jour, chaque heure, chaque minute est unique et vous ne savez jamais quand arrivera la fin...
Ces pensées envahissent jusqu’à mes rêves lucides, cette nuit-là.
La deuxième Great Walk : Tongariro Northern Circuit
Le matin du vendredi 7 juin 2013, nous avons la chance de retrouver le beau temps et de débuter notre deuxième Great Walk depuis Whakapapa Village, au cœur du Tongariro National Park : Tongariro Northern Circuit.
J’attends énormément de cette randonnée, que nous avons failli retirer de nos plans suite à de trop nombreux avertissements nous indiquant que la zone est particulièrement dangereuse en hiver. Imaginez un circuit de 4 jours autour du majestueux mont Ngauruhoe, qui vous regarde du haut de ses 2 291 mètres. 43,1 kilomètres à parcourir sur un terrain qui change à chaque étape entre plaines, collines, passage alpin relativement engagé, volcans et lacs aux reflets verts ou bleutés. Si le mont Ngauruhoe ne vous dit rien, sachez qu’il s’agit ni plus ni moins de la Montagne du Destin dans le Seigneur des Anneaux de Peter Jackson. Bref, sûrement aussi ardu qu’excitant.
Nous sommes maintenant le deuxième jour, et pour la première fois depuis le début de l’aventure, j’envisage sérieusement l’abandon de la randonnée lorsque nous nous retrouvons subitement tous les trois sur une crête enneigée en plein blizzard, avec un risque élevé de chute sur la pente verglacée en cas d’erreur, sans piolets ni crampons. Même si notre expérience nous rend un peu moins vulnérables, nous savons que tenter le circuit sans équipement d’alpinisme à cette période de l’année comporte des risques. Quinze minutes avant, dans une cuvette, j’annonçais en plein soleil à Koonshu qu’au regard de la topographie du lieu, les conditions climatiques pouvaient changer du tout au tout en un instant et qu’il nous fallait être très vigilants à compter de ce point. Après évaluation, nous choisissons de continuer puis réussissons à progresser malgré tout sur ce passage technique heureusement très court. Et c’est pour être récompensés par des paysages à couper le souffle de l’autre côté.
Le soir, je m’endors avec ces mots d’un alpiniste rencontré alors que je n’étais encore qu’enfant, et qui m’ont marqué à vie : Celui qui croit pouvoir surpasser la montagne est déjà mort, il n’y a que lui qui ne le sait pas encore.
.
Encore une fois, nous avons eu de la chance. Le troisième jour, alors que nous avions franchi l’unique passage alpin la veille, la pluie et la neige tombent intensément sur le circuit, rendant probablement ce dernier impraticable, sans équipement d’alpinisme adapté, jusqu’au printemps prochain.
Depuis que mes mains se sont éloignées du sol, je marche beaucoup, tout le temps, par toutes saisons et sur tous terrains. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai été ému aux larmes en contemplant ce que notre admirable planète recèle de merveilleux. Pour autant, cette randonnée de 4 jours, dans les conditions hivernales où nous l’avons réalisée, est à ce jour la plus belle expérience en trek de ma vie.
Rien que ça.
Le stop avec Daryl et la découverte du Chateau Tongariro
Nous sommes le lundi 10 juin 2013 quand nous terminons notre deuxième Great Walk. De retour à Whakapapa Village, d’où démarre et finit le Tongariro Northern Circuit, nous retrouvons Daryl.
Je me rends compte que j’ai oublié de vous en parler, plus tôt.
Daryl, c’est l’homme que nous avions rencontré quatre jours auparavant alors que nous faisions du stop pour rejoindre Whakapapa Village depuis Turangi, où nous dormions chez Denise. Il travaille au Chateau Tongariro. En nous accueillant dans son véhicule, il nous avait proposé de nous ramener chez cette dernière une fois la randonnée terminée. Et il tient parole, mais il n’est pas tout à fait prêt au moment où nous le retrouvons. Il nous demande de l’attendre dans le hall de l’hôtel. Mais après quatre jours de marche, nous sommes crottés jusqu’aux oreilles, alors nous n’osons pas passer la porte d’entrée. C’est sans compter le groom, qui est apparemment au courant que Daryl a des invités, et qui nous interdit de rester dehors dans le froid !
Cinq minutes plus tard, nous sommes assis au chaud devant l’âtre de l’immense cheminée du hall de l’un des bâtiments les plus chargés d’histoire de l’île du Nord. Un peu gênés, mais très touchés, nous touchons l’instant. Au chaud.
L’origine du Ka mate
Le soir du lundi 10 juin 2013, notre journée est déjà bien remplie : après un réveil dans la dernière hutte, nous avons terminé le Tongariro Northern Circuit en revenant à Whakapapa Village, sommes restés au chaud quelques heures dans le centre d’informations, puis y avons visité le Chateau Tongariro avant de retrouver Daryl, qui nous a de son côté ramenés à Turangi où nous sommes désormais de nouveau chez Denise pour une nuit avant de partir vers le sud le lendemain. C’est bon, vous pouvez respirer.
Alors que nous nous apprêtons à nous coucher, très fatigués, le fils de Denise arrive dans la maison. Nous restons finalement près de deux heures à parler avec lui dans la cuisine, tant ce qu’il a à nous transmettre est passionnant. Son accent est particulièrement lourd, et j’ai parfois du mal à le comprendre. Il nous apprend que le fameux Ka mate (le haka popularisé par l’Équipe de Nouvelle-Zélande de rugby à XV, les fameux All Blacks) est né dans les environs au XIXe siècle, nous parle de l’importance cruciale de la terre et de la généalogie pour les Maoris, et évoque le fonctionnement des tribus et des clans. Il est touché de se sentir écouté par des étrangers. C’est un grand moment, encore une fois inattendu.
Nous nous endormons épuisés, mais riches, cette nuit-là.
Un peu de house sitting chez Evan
Le lendemain, mardi 11 juin 2013, nous débutons le stop avec pour objectif d’être à Wellington dans deux jours. Seuls 322 kilomètres séparent Turangi de la capitale du pays, la route est directe, cela nous paraît largement dans nos cordes.
Après une première course qui nous emmène jusqu’à la ville militaire de Waiouru, juste en face du National Army Museum, nous tendons de nouveau le pouce sur le bord de la route. Après seulement 10 secondes — littéralement — la première voiture à nous croiser s’arrête à nos côtés. À l’intérieur, deux sympathiques militaires qui partent pour Napier, vers l’est. Pas dans notre direction, nous refusons la course. Une minute plus tard, un vieil homme et son chien font halte à notre niveau dans une grosse camionnette rouge et l’un d’eux nous adresse la parole. J’ai déjà vu cet homme : il vient de nous dépasser, quelques instants plus tôt. Il a fait demi-tour pour nous. Il roule jusqu’à la prochaine ville au sud, nous partons avec lui.
Il s’appelle Evan, et est en pleine tournée de livraison de nourriture pour chiens dans les environs, avec son compagnon Jack. Lorsque, devant la pluie qui bat, il nous propose de venir passer la nuit chez lui, c’est un nouveau grand moment sur La Piste Inconnue.
Le soir même, tandis que nous sommes tous au chaud auprès du feu à déguster un repas offert par notre nouvel ami, Evan nous annonce qu’il doit se déplacer à Auckland dans deux jours pour un enterrement. Même si elle y reste, l’eau me monte aux yeux car je pressens ce qui va suivre. Avec la pudeur d’un vieil homme solitaire, il nous demande si nous souhaitons rester trois jours de plus afin de garder sa maison, s’occuper de Jack et des moutons. C’est la troisième fois que de parfaits inconnus nous proposent de partager leur toit en Nouvelle-Zélande.
Avant de nous coucher, nous discutons tous les trois afin de prendre une décision éclairée. D’un côté, nous arriverons bien plus tard que souhaité à Wellington si nous faisons le choix de rester, de l’autre, depuis le premier jour nous portons la volonté féroce de voyager hors des sentiers battus et d’aller au contact des cultures et des territoires que nous traversons. Certes, nous passerons sûrement moins de temps que voulu initialement dans l’île du Sud, mais voilà quelques mois que j’ai compris que l’on ne devient grand voyageur que le jour où le temps n’est plus une excuse ou une contrainte, et que l’on ne verra jamais tout.
Le lendemain matin, nous acceptons, au grand bonheur de tous. Nous passons ensuite la journée du mercredi 12 juin 2013 tous ensemble, à suivre Evan dans sa tournée. Son départ vers Auckland intervient très tôt dans la nuit du jeudi matin. Son retour est prévu vendredi 14 juin 2013, dans l’après-midi.
Un peu effrayante car à flan de falaise, la situation de la maison n’en est pas moins magique. Le matin, nous nous réveillons dans la brume qui donne à cette vallée un côté presque surnaturel. Devant nos yeux, des collines peuplées de moutons à perte de vue, typiquement l’image que l’on se fait de la Nouvelle-Zélande depuis le Vieux Continent.
La Piste Inconnue n’a pas fini de nous faire voyager. C’était peu probable, mais ce jeudi 13 juin 2013, nous voilà donc seuls dans la Kawhatau Valley, perdue dans la campagne à l’est de Mangaweka, à faire du house sitting. C’est comme cela que les anglophones appellent le fait de garder et tenir une maison en l’absence de ses propriétaires. Entre nourrir les moutons, se promener avec Jack, cuisiner, lire et nettoyer, nous ne nous ennuyons pas au milieu des paysages verdoyants, forgés par la pluie quotidienne.
Le samedi 15 juin 2013, après quelques jours hors du temps, Evan nous dépose à nouveau sur la State Highway 1. Le soir, nous arrivons sous la pluie battante dans le centre de Wellington après trois courses, et nous payons pour la première fois depuis notre départ d’Auckland un backpacker, pour les deux prochaines nuits. La sensation est très étrange. Dans cette ville, les backpackers ressemblent à de petits hôtels bon marché, et nombreux sont ceux qui semblent y habiter à l’année.
Je ne me sens pas à ma place dans cet environnement. Et pourtant, à cet instant, nous sommes fiers de ce petit exploit, même si nous avons la conscience inaltérable que nous ne le devons pas qu’à nous.
Le Te Papa
Si nous prenons deux nuits à Wellington, c’est parce que tout le monde nous a conseillé d’aller visiter le musée Te Papa. Ce dernier, en plus d’être visiblement très intéressant car il livre des informations culturelles concernant la totalité du pays, a en plus l’avantage séduisant d’être gratuit !
Nous y rentrons le matin du dimanche 16 juin 2013, pour n’en ressortir que le soir. Alors, Te Papa, extraordinaire ? Non. Ridicule ? Non plus. Même si nous en apprenons beaucoup ce jour, ce musée est une sorte de gros patchwork qui épuise l’esprit à force de tout faire pour annihiler toute linéarité et où il est parfois difficile de comprendre le message transmis.
C’est probablement le plus petit des grands moments vécus sur l’île du Nord. La visite du Te Papa reste pourtant incontournable si vous passez un jour de ce côté du monde.
La route vers l’île du Sud
C’est alors que derrière la nuit arrive le petit matin du lundi 17 juin 2013. Nous sommes en route vers l’île du Sud pour un ultime grand moment sur cette première île.
Tandis que je contemple l’île du Nord s’éloigner peu à peu depuis le pont du ferry qui relie les deux îles principales, je revis mentalement les expériences des dernières semaines. Je suis heureux, de tous les transports que nous ayons empruntés dans l’île du Nord, ce bateau est le seul pour lequel nous ayons déboursé un centime. Nous avions pour défi de parcourir les terres du pays exclusivement en stop, afin de vivre une expérience intense et mémorable, et ce défi est déjà à moitié atteint. Je suis heureux donc, et fier de voyager ainsi, comme je l’ai toujours rêvé.
Je me demande tout de même comment notre expérience dans l’île du Sud pourra rivaliser avec ce que nous avons vécu sur cette première île. C’est fou, mais nos tentes achetées une fortune n’ont quasiment pas été utilisées depuis que nous avons pris la route. La faute à l’hospitalité hallucinante du peuple du bout du monde. Tant pis, l’une des tentes est déjà amortie grâce à toutes les économies réalisées. Aurons-nous autant de chance dans l’île du Sud ? Je l’espère, car l’hiver se fait de plus en plus pesant.
C’est dans ces moments que l’on ressort habilement la devise de La Piste Inconnue qui va bien : « Allons-y, on verra bien ! ».
Ainsi s’achève l’article consacré aux grands moments de notre périple d’un mois sur les terres hospitalières de l’île du Nord de la Nouvelle-Zélande.
La suite ? C’est une autre histoire...
Déjà 7 traces de pas sur ce bout de piste :
1. Cindy, le 21 juillet 2013 à 18:17
2. Audrey Masson, le 21 juillet 2013 à 22:44
Quel bonheur de retrouver vos aventures !
Votre parcours en Nouvelle-Zélande est incroyable, j’en reste sans voix.
A travers votre article, j’ai le sentiment que ce sont les rencontres qui ont principalement marquées votre aventure, chacune d’entre elle est si unique et si touchante.
La culture et la philosophie des Maoris nous donne matière à réfléchir.
Les paysages sont tout aussi fabuleux, je vous envie !
La bise,
Audrey
3. Joffrey, le 22 juillet 2013 à 10:55
Magique les gars, profitez pour nous !
Bises.
Joffrey.
4. Fana, le 23 juillet 2013 à 10:17
Enfin, quel plaisir de retrouver nos aventuriers avec leurs récits et photos qui laissent sans voix...
On peut effectivement se poser beaucoup de questions sur la nature humaine au regard de ces gens qui ouvrent grands leurs portes à des inconnus alors qu’ici, trop nombreux sont ceux qui ne communiquent même pas avec leur plus proches voisins....
5. Audesou, le 1er août 2013 à 16:02
@Cindy : Oui, clairement. En Nouvelle-Zélande, nous avons rencontré des gens bons partout !
Tu peux consulter Wikipédia pour replonger dans les origines du Ka mate.
Et, encore une fois, merci d’être là ! Nous nous retrouvons bientôt. ;-)
@Audrey Masson : En écrivant cet article, je me suis rendu compte à quel point les rencontres comptaient pour nous, oui.
@Joffrey : On profite pour vous, Monsieur Joffrey !
@Fana : Ça...
6. Cassini Josiane, mère de Damien, le 3 août 2013 à 14:18
Merci beaucoup de m’avoir envoyé votre texte et vos photos ! je suis étonnée car Damien m’avait écrit que les gens en Nouvelle-Zélande n’étaient pas très accueillants, peut-être n’a-t-il pas eu autant de chance que vous, cela me fait partager votre expérience et saisir un peu plus ce que Damien recherche.
Je vous dit bravo ! pour votre courage et votre ténacité.
C’est vraiment un très beau voyage !
Sincèrement .
J. Cassini.
7. Audesou, le 3 août 2013 à 15:39
Josiane,
Bienvenue sur La Piste Inconnue. C’est un plaisir de recevoir vos encouragements.
Voilà bientôt 9 mois que nous voyageons et la Nouvelle-Zélande a été jusqu’à présent le pays que nous avons perçu comme le plus hospitalier. A posteriori, je me rends compte que c’est le stop qui nous a énormément aidé à rentrer en contact avec les habitants. Plus tôt dans l’aventure, nous avons par exemple passé quelques semaines au Pérou à voyager exclusivement en utilisant des moyens de transport payants. Est-ce pour cette raison que les péruviens nous ont semblé très distants ?
Je comprends qu’il soit peu évident pour vous de saisir ce que votre fils recherche. Je crois que les grands voyageurs ne comprennent eux-mêmes qu’une fois le voyage terminé pourquoi ils sont partis (cf. l’article « Pourquoi pars-tu ? »).
Dans tous les cas et sans flatterie, la rencontre avec votre fils a été l’un des événements les plus marquants de notre aventure en Nouvelle-Zélande. Et ce grand moment méritait d’être raconté ici. Comme nous le savons vous et moi, Damien est un homme bien.
Merci encore Josiane, et du bonheur pour la suite,
Ce retour d’expérience m’a littéralement donné la banane :)
Quelle aventure ! Ce peuple est tout simplement incroyable, leur manière de penser semble à des années lumières de celle qui se partage par ici, en métropole. Une question me vient alors : Cette bonté vous a-t-elle semblé aussi forte dans les plus grosses agglomérations de l’île également ?
Sincèrement je vous envie. Et le texte accroché dans la maison de Denise me fait beaucoup réfléchir.
Du coup, tu ne nous a pas tout dit pour le haka :)
Je vous embrasse fort et....j’ai hâte !
Cindy
P.s. : oui oui oui nous sommes toujours là pour suivre vos aventures !