À force de n’être jamais chez soi...
Publié par Audesou, le 20 décembre 2013 à 09:00
Lundi 02 décembre 2013. Côte est de la Malaisie. Ville de Kuantan. Fin d’après-midi. Trempé jusqu’aux os après m’être absenté quelques heures, je suis de retour. Le temps de quitter mes vêtements dégoulinants et de m’habiller d’un corps sec et nu, je m’affale sur le lit.
C’est la mousson, ici.
Cette chambre très bon marché, tapie derrière l’une des portes d’un long couloir sombre que l’on atteint depuis le premier étage de l’arrière-salle d’un magasin, c’est encore une fois auprès des Chinois que je suis allé la chercher. On est d’abord surpris de voir un étranger débarquer, brisant par sa simple présence la routine tranquille, mais tant que le bon nombre de billets est posé sur la table, on ne pose pas de question.
Ce n’est qu’après y être rentré que l’on se rend réellement compte à quel point l’endroit est lugubre, au moins autant que chargé d’histoire. Sur les murs, entre les trous indiscrets maladroitement rebouchés par des bouts de papier, se côtoient dans un curieux cortège : promesses d’amour, comptes de marchandises, numéros de téléphones, poèmes, croquis et taches de sang. Au plafond, une flèche indique grossièrement la direction de la qibla tandis que, plus bas, le robinet déprimé pleure goutte à goutte ses milliers de larmes sans interruption, surplombé par le ventilateur qui tente, impuissant, de repousser au loin les effluves méphitiques qui planent dans l’air, et dont le roulement lancinant et perpétuel rappelle celui des vagues. Le tout, sous le regard brumeux de deux bouteilles en plastique, qui, posées là, semblent avoir toujours été, et desquelles on regrette d’avoir tenté de comprendre ce qu’elle pourraient bien contenir sitôt que l’on a commencé à y penser.
Si l’on décide de quitter le lit bancal et que l’on fait attention à éviter l’eau tombée au sol lors de l’entrée dans la pièce, il est possible de tendre le bras vers l’encadrement de la porte et d’allumer la veilleuse rouge, qui trône fièrement au-dessus de la fenêtre, qui ne mène, pour sa part, sur rien. Les ténèbres se font alors et, à travers le voile pourpre qui s’abat brutalement, on comprend soudain dans un spasme de dégoût que cette chambre mi-glauque, miteuse, et mi-bordel, a tout simplement tout pour déplaire.
Et pourtant, voilà que je dégaine l’appareil pour y consacrer une série.
Alors que je m’apprête à passer ma 393e nuit consécutive hors de France et que je devrais bientôt atteindre les 25 ans, je réalise que ce lieu qui m’aurait fait fuir il y a quelques années est aujourd’hui devenu chez moi. Dehors, j’avais froid et de l’eau boueuse jusqu’au-dessus des genoux, tandis que j’arpentais péniblement les rues. Ici, il fait chaud, je suis au sec, et quelques bananes m’attendent, accrochées à la porte. On a fait pire comme refuge.
Demain, déjà très loin, cette chambre ne sera plus qu’un souvenir gravé parmi tant d’autres dans ma mémoire. La Piste Inconnue continuera ailleurs. J’ignore totalement où. Au fond, cela n’a aucune importance. Car demain soir, où que je sois, une fois encore, je dormirai chez moi.
À force de n’être jamais chez soi, on finit par être chez soi partout.
Déjà 4 traces de pas sur ce bout de piste :
1. Cedric, le 29 décembre 2013 à 06:28
2. Audesou, le 30 décembre 2013 à 05:49
Cédric,
Les mêmes souhaits pour la tienne, cher ami.
3. Marine Philomen Roux, le 12 janvier 2014 à 13:33
« L’errance n’est ni le voyage ni la promenade mais cette expérience du monde qui renvoie à une question essentielle : qu’est-ce que je fais là ? Pourquoi ici plutôt qu’ailleurs ? Comment vivre le plus longtemps possible dans le présent, c’est-à-dire être heureux ? Comment se regarder, s’accepter ? Qu’est-ce que je suis, qu’est-ce que je vaux, quel est mon regard ? »
Depardon
Je suis toujours aussi touchée de lire tes lignes Laurent.
4. Audesou, le 15 janvier 2014 à 06:33
Marine,
C’est une bien belle citation, que tu viens déposer ici.
J’apprends peu à peu ce qu’est l’errance. Partir ainsi, marcher sans but, tout cela fait peur, et prend du temps. Mais je crois que tout cela finira par payer. Les réponses émergent de l’oubli, peu à peu.
Merci d’être toujours là, Marine.
Audesou, tu as bien rasion et je te rejoins entierement sur cet article...
Que cette piste (ta piste) inconnue t’emmene encore tres loin et que tu te sentes encore chez toi pour un long moment...
Cedric