Un nouveau départ

Publié par Audesou, le 15 mai 2013 à 07:07

« ¡ Hasta la próxima, América del Sur ! », c’est ainsi que je souhaitais baptiser ce nouvel article. Après réflexion, il s’appellera au final « Un nouveau départ ». Parce que voilà, j’ai beau avoir la saudade rien que d’y penser et du mal à garder le regard fixé droit devant, mais d’un nouveau départ, c’est bien de cela dont il s’agit aujourd’hui.

Invoquant la magie d’Internet, j’écris ce papier le dimanche 12 mai 2013 depuis Santiago, quand ce dernier ne vous atteindra au plus tôt que trois jours plus tard, le mercredi 15 mai, alors que nous ferons vol vers Auckland, vers un autre continent. Le mercredi 15 mai 2013, tiens, parlons-en. À cet instant, nous serons sans doute quelque part en train de survoler l’océan Pacifique, avec Koonshu. Tous, un jour ou l’autre, avons souri à propos de ces vols qui vous font perdre une journée de vie en traversant la ligne de changement de date dans le sens antihoraire. Nous allons prendre l’un d’eux. Nous allons perdre un jour. Le jour de la publication de cet article, si tout se déroule comme anticipé, nous ne le vivrons pas. Ou si peu.

Paradoxalement, le compte y est. Largement. Plus de 6 mois que nous vagabondons en Amérique du Sud, depuis notre extraordinaire arrivée à Rio de Janeiro chez les non moins extraordinaires Josete et Nelson, le mardi 06 novembre 2012. 6 mois seulement, et pourtant l’impression d’avoir vécu 6 ans.

Il est des expériences qui marquent un homme pour plusieurs vies.

On me dit souvent courageux, rêveur ou fou. Ou les trois à la fois, c’est selon. À l’instar de Abd al Malik, je ne suis qu’en fait « un enfant qui joue à avoir l’air ». On ignore parfois que c’est toujours la peur aux tripes et des doutes plein la tête que j’avance lentement, et de plus en plus profondément, sur cette piste inconnue que je défriche chaque jour. La peur de m’y perdre, je la connais. La peur de l’inconnu, celle qui, les mauvais jours, me convainc presque que le meilleur est déjà derrière, je la connais aussi. La peur de vous décevoir, elle n’a plus de secrets pour moi. La peur de passer définitivement de la norme à la marge, elle est assise sur mes épaules. Les doutes pesants quant à chacun de mes choix, ils m’habitent.

En cette veille de départ à l’autre bout du monde — littéralement — j’éprouve à nouveau intensément ce que je ressentais le jour où j’ai levé l’ancre. Le jour où j’ai quitté la France et où j’ai commencé à porter ce statut d’étranger qui me colle à la peau. Le choc est violent. Je refais mentalement notre parcours, je revis les souvenirs façonnés derrière chacune des 55 étapes, et je tremble debout les yeux ouverts face au planisphère, en admettant difficilement l’idée d’abandonner un continent qui m’est cher.

En admettant encore plus difficilement l’idée de m’éloigner, toujours plus, de la plupart de celles et ceux que j’aime.

Toutes et tous qui le savez, je vous porte en moi chaque jour. Chaque minute, chaque seconde. Et, pour ainsi dire, chaque instant. En Amérique du Sud, même si nous n’évoluions pas toujours sous les mêmes étoiles, je me consolais face à l’absence, la distance et au silence relatifs en me disant que, quelque part, nous pouvions au moins contempler simultanément le même soleil. Parfois. Mais l’arrivée en Nouvelle-Zélande sonnera l’heure de la fin de partie. Du Game Over. Jusqu’à très récemment, je redoutais l’échec, le retour anticipé, le projet avorté. Aujourd’hui, après plus de 6 mois sur la route, c’est terminé. Mais une autre peur a fait insidieusement son apparition : la peur de l’oubli. Peur de partir trop loin, trop longtemps, de ne pas prendre conscience que la corde s’effile et de faire le pas de trop, celui qui me fera passer du statut d’être aimé à celui de vague connaissance dont on ne se souvient plus. Ou dont on ne souhaite plus se rappeler, cela s’entend...

— Au fait, t’as des nouvelles de Audesou ?
— Audesou ?! C’était pas le gars parti en tour du monde en 2012, là ? Tu sais où il est maintenant ?
— Aucune idée. Viens, on regarde !
— C’était quoi le nom de son blog, déjà ?
— Un truc du genre « Les Inconnus », « Je Marche Nu » ou « Je Te Croiserai Tard Dans La Rue ».

J’en ai peur, d’autant que l’aventure en Nouvelle-Zélande sera sans nul doute franchement différente de celle vécue jusqu’à présent. Plus qu’une nouvelle étape, c’est un nouveau voyage, un nouveau départ, qui s’annoncent. Et avec, probablement, une nouvelle ligne éditoriale sur ce carnet de route. Car voilà, pas sûr que nous pourrons publier ici régulièrement, une fois là-bas.

Pour le moment, voici l’idée. Suite à notre arrivée, nous devrions commencer par passer quelques jours à Auckland, grâce à l’amie Lina. Ensuite, afin d’éviter la ruine devant le coût exorbitant de la vie sur cette île, nous envisageons le camping et le stop comme principaux moyens de dormir et de nous déplacer. Vous savez tout.

Quelque part, j’ai hâte de savoir où La Piste Inconnue m’aura mené dans quelques semaines, quelques mois. Il y a fort à parier que ce plan aura été encore une fois chamboulé. et cela a à mes yeux quelque chose d’excitant. Jusqu’à présent, ce carnet de route porte bien son nom.

Mais je reste morose. Cette soirée à un arrière-gout de dernier jour de colonie de vacances. Je me sens un peu éteint à la pensée de devoir dire — une nouvelle fois — « Au revoir ». À la pensée de devoir tourner le dos au moins un temps à tous ces souvenirs, tous ces liens tissés ici, aux grands espaces, au lomo saltado, aux glaciers, aux volcans, aux soirées autour du feu, aux empanadas, à la beauté pétrifiante des argentines et des chiliennes, aux pick-ups à 4 portes, aux lamas, aux marchés locaux dont les mets succulents finissent par te détruire vilement les intestins, aux nuits à la belle étoile, au maté, aux douches froides, aux rencontres improbables, au papier hygiénique mais pas dans la cuvette, à la route 40, à sa sœur la route 3, aux couleurs, à la conduite à deux-cents à l’heure, aux treks, à la solitude que l’entourage ne peut pas apaiser, au presque bout du monde et au presque sommet, aux salars, à l’hospitalité, au vent, aux marches jusque ou depuis les terminaux de bus, au danger, au bingo Andesmar, au système D, aux baleines, aux œufs bouillis dans les geysers, aux bus plus confortables qu’une chambre d’hôtel, à l’espagnol teinté d’accents chantants, au mépris envers les étrangers, aux éclats de rire, aux grands doutes, à l’altitude, à la coca, aux dortoirs de 12, aux chambres triples, à la poussière, au voyage entre poules et moutons, au manque, à la musique, à la Patagonie, à l’eau trouble, à la Croix du Sud, aux négociations, à l’autostop au milieu de nulle part, aux pommes de douche électriques, aux œuvres sobrement magistrales des grands Damasio et Urasawa, à une forme de naïveté perdue, à la simplicité débordante.

Il n’a pas vraiment voyagé celui qui n’a jamais souffert du déracinement. Vous qui me lisez, vous qui prendrez la route ou non un jour, sachez que voyager au long cours, cela a un prix, et c’est surtout celui-ci. Laisser une partie d’innocence, un bout de soi, derrière, à chaque étape. Se perdre, se dissocier, se renouveler chaque jour. S’adapter. Devenir maître dans l’art de la reconstruction. Se griller les yeux, l’âme, le corps et le cœur de tous les bonheurs et malheurs insoupçonnés du monde. Craindre au fil des couchers du soleil l’abandon des siens. Gravir des sommets. Puis tomber de très haut. Souffrir. Serrer les dents. Se relever, encore. Avancer droit devant, toujours. Tourner inlassablement la page, couper un énième lien.

Et que l’on ne s’y habitue pas.

Nous partageons un certain nombre de choses avec vous, et cela aussi, vous avez le droit de le savoir. Alors j’écris cet article, le signe, te le dédie à toi très chère Éloïse, et le publie. Et je reviens bientôt. Avec le sourire.

La Piste Inconnue continue.

Déjà 6 traces de pas sur ce bout de piste :

1. Cindy, le 15 mai 2013 à 10:51

Il ne se passe pas un jour sans que je me dise « où en est Audesou ? Que fait-il ? » et hop me voici sur « Je Te Croiserai Tard Dans La Rue » ahahah !

Ne pense pas que tu t’effaces de nos mémoires, loin de là. Ta Piste nous fait rêver, me fait rêver...il me tarde de t’y rejoindre ;)

A très vite,

Cindy

2. Thibaut, le 16 mai 2013 à 00:25

Ton intro m’a un peu fait penser à Retour vers le futur, avec cette histoire de ligne de changement de date (qui me fait bien rêver !).

En tout cas, moi je ne vous oublierai pas et continuerai de lire vos aventures dans l’attente de repartir un jour en (long) trek avec vous !
On fait le GR20 quand vous revenez ? Le record est seulement à 32h54min pour 185km et 14000m D+

3. Fana, le 16 mai 2013 à 19:29

Courageux, vous l’êtes bien entendu,
Rêveurs, il vous a fallu l’être pour envisager un tel périple et il vous faut continuer à l’être pour la suite,
Fous, que ce soit l’un ou l’autre, c’est une évidence pour ne pas dire un pléonasme....

4. Audesou, le 19 mai 2013 à 06:15

@Cindy : Merci pour ta présence, Cindy. Le moral remonte peu à peu, de ce côté de l’océan. On se voit bientôt.

@Thibaut : Hey ! J’approuve totalement cette idée : le GR 20 est dans ma liste des choses à faire avant de mourir, entre un road trip d’une année aux USA et la traversée à pied nord-sud de l’Islande en autonomie !

Les internets ont une mémoire : si retour il y a, c’est en partie via le GR 20 que la transition se fera. Kilian n’a qu’à bien se tenir. Toujours partant ?

@Fana : Merci pour ton soutien sans faille. Nous en avons bien besoin aujourd’hui pour continuer à avancer.

5. La famille Pray-Martin !, le 19 mai 2013 à 19:46

Ici, petite Eloïse ne peut lire cet article, trop pitchounette !
Mais, saches Audessou, que quotidiennement son papa et sa maman lui parle de son parain. Nous ne pouvons pas t’oublier et jusqu’à ton retour nous lui parlerons de toi.
Alors, Avance, Fonce, comme tu as toujours su le faire.

6. Audesou, le 22 mai 2013 à 01:07

 :-$

Vous aussi, laissez vos traces sur la piste...