La barbe et le sourire

Publié par Audesou, le 15 mars 2014 à 08:42

La dernière fois que j’ai arboré des joues aussi lisses que les fesses d’un bébé, j’avais 23 ans. Debout les yeux ouverts, devant le miroir, j’éprouvais une dernière fois le plaisir de me fondre sous les effluves de liberté du Fahrenheit de Dior, de former un nœud Windsor et d’enfiler un costume, avant de sortir en voiture dans la nuit noire pour le dernier des au revoir. Nous étions le soir du dimanche 4 novembre 2012. Le cœur un peu serré, je levais les yeux vers le ciel français. Le lendemain soir, je m’endormais sous les étoiles de London. Le surlendemain, celles de Rio de Janeiro.

En apparence, je ne manquais de rien. En apparence, je quittais donc tout.

La Piste Inconnue débutait.

Depuis le départ de l’aventure, je l’ai régulièrement taillée, tondue, coupée, cette barbe qui pousse chaque jour avec une régularité qui ferait pâlir les plus grands horlogers suisses. Jamais toutefois, je n’ai été jusqu’à totalement la raser.

Arrivé à Sydney fin juillet 2013, j’ai décidé de passer un pacte avec l’animal en question : lui redonner temporairement sa liberté en échange d’une protection solaire sans faille lors de la traversée du désert, qui s’annonçait sous peu. On l’oublie parfois dans nos contrées civilisées, mais une barbe, avant d’être un objet de style et, éventuellement, de séduction, est à la base un puissant outil de survie, conçu dans les impénétrables ateliers de la Pachamama. En trois mois sous la frappe du soleil australien, dont un en plein Outback, pas un seul poil ne m’a laissé tomber. J’ai donc tenu parole à mon tour, en tenant à l’écart toutes mes lames.

En Indonésie, au moment où je songeais à reprendre l’élagage, je me suis rendu compte que ma barbe suscitait l’intérêt des musulmans de Java, qui s’adressaient parfois spontanément à moi comme à un frère, sans se douter une seule seconde que je ne me sens pas plus proche de Allah que de Dieu, Zeus, Quetzalcoatl, Thor, Apple ou Vishnou. Tout en évitant soigneusement de tomber dans la malhonnêteté et l’abus, j’ai commencé à cette période à me rendre compte qu’une barbe pouvait ouvrir de nombreuses portes.

Était-ce dû au volume plus important de la crinière ou au fait que je faisais désormais cavalier seul ? Je l’ignore. Toujours est-il que, si la barbe m’ouvrait des portes en Indonésie, à Singapour et en Malaisie, elle semblait en outre permettre de bâtir des autoroutes de communication entre les locaux et l’étrange étranger barbu que j’étais à leurs yeux. Nous ne parlions pourtant souvent pas la même langue. Qu’à cela ne tienne ! L’espace d’instants magiques, nous ne le réalisions plus. En quittant le pays, j’ai pensé qu’il serait intéressant de continuer l’expérience au Sri Lanka, dont j’ignorais tout.

C’est donc toujours velu que je suis arrivé fin décembre 2013 à proximité immédiate de l’Inde. Au Sri Lanka, j’ai été stupéfait de constater à quel point le pouvoir d’attraction de ma barbe grandissait jour après jour. D’abord, et cela n’est pas rien, elle faisait sourire les magnifiques Srilankaises. Elle attisait ensuite la curiosité des enfants qui voyaient parfois pour la première fois de leur vie une barbe rousse. Elle me permettait enfin d’obtenir rapidement une virile forme de respect de la part des hommes de l’île.

En Inde, d’où j’écris et publie cet article ce jour, il ne se passe pas une seule journée sans que l’on ne m’arrête dans la rue juste pour le plaisir de me glisser un rapide Nice beard ! ou que l’on ne lève les deux pouces avec un grand sourire, sur mon passage, lorsque j’arpente le soir les marchés locaux et que je prends au préalable le temps de lisser ma moustache. Il faut dire que cette dernière est la norme ici. C’est avec une fierté non contenue que la moustache est portée par l’immense majorité des hommes du pays de Gandhi.

Beaucoup plus tôt, en Amérique du Sud, une version plus légère de cette barbe me valait de me faire appeler Chuck Norris. Depuis, l’originalité des surnoms reçus en l’hommage de mon capital pileux n’a eu de cesse de m’émerveiller. Entre Supertramp, The-French-traveller-with-the-big-beard-and-the-red-scarf, Le caméléon, Red Forest et Le bûcheron, je pensais que tout avait été inventé. Jusqu’à ce que j’arrive dans le Karnataka et que je découvre, à ma plus grande surprise, que tous les Indiens semblent désormais s’être passé le mot pour m’appeler sobrement : Baba.

Il y a plus de 16 mois, je quittais la France. J’avais 23 ans et les joues lisses. Je ne savais pas encore que, pour le voyageur, la barbe et le sourire se révèlent au final bien plus chers qu’ils ne coûtent. Cela, parmi tant d’autres choses, je l’ai compris sur la route.

Cette leçon vaut bien un hommage, sans doute.

Déjà 7 traces de pas sur ce bout de piste :

1. djibey, le 16 mars 2014 à 00:09

Nice beard !

2. Cindy, le 17 mars 2014 à 18:21

J’adore la petite moustache qui remonte, mais surtout le sourire qu’il y a juste en-dessous ;)

3. Fleurine, le 21 mars 2014 à 14:04

Laurent a fait son « Selfie » !!!!

4. Marine Philomen Roux, le 21 mars 2014 à 20:29

Eh bien, quelle tête :-)
Ca me touche de voir ce sourire.

Que la piste continue !

5. Audesou, le 30 mars 2014 à 12:08

@djibey : T’as pas changé, toi ! ;-)

@Cindy : ;-)

@Fleurine : Héhé ! Attends donc de voir la version non censurée !

@Marine Philomen Roux : Elle continue, elle continue ! Bientôt, de nouvelles aventures. ;-)

6. gwénaëlle, le 19 février 2015 à 15:11

La Piste : un connu !

7. Audesou, le 4 mars 2015 à 21:31

Je valide !

Vous aussi, laissez vos traces sur la piste...