La barbe et le sourire

Publié par Audesou, le 15 mars 2014 à 08:42

La dernière fois que j’ai arboré des joues aussi lisses que les fesses d’un bébé, j’avais 23 ans. Debout les yeux ouverts, devant le miroir, j’éprouvais une dernière fois le plaisir de me fondre sous les effluves de liberté du Fahrenheit de Dior, de former un nœud Windsor et d’enfiler un costume, avant de sortir en voiture dans la nuit noire pour le dernier des au revoir. Nous étions le soir du dimanche 4 novembre 2012. Le cœur un peu serré, je levais les yeux vers le ciel français. Le lendemain soir, je m’endormais sous les étoiles de London. Le surlendemain, celles de Rio de Janeiro.

En apparence, je ne manquais de rien. En apparence, je quittais donc tout.

La Piste Inconnue débutait.

Depuis le départ de l’aventure, je l’ai régulièrement taillée, tondue, coupée, cette barbe qui pousse chaque jour avec une régularité qui ferait pâlir les plus grands horlogers suisses. Jamais toutefois, je n’ai été jusqu’à totalement la raser.

Arrivé à Sydney fin juillet 2013, j’ai décidé de passer un pacte avec l’animal en question : lui redonner temporairement sa liberté en échange d’une protection solaire sans faille lors de la traversée du désert, qui s’annonçait sous peu. On l’oublie parfois dans nos contrées civilisées, mais une barbe, avant d’être un objet de style et, éventuellement, de séduction, est à la base un puissant outil de survie, conçu dans les impénétrables ateliers de la Pachamama. En trois mois sous la frappe du soleil australien, dont un en plein Outback, pas un seul poil ne m’a laissé tomber. J’ai donc tenu parole à mon tour, en tenant à l’écart toutes mes lames.

En Indonésie, au moment où je songeais à reprendre l’élagage, je me suis rendu compte que ma barbe suscitait l’intérêt des musulmans de Java, qui s’adressaient parfois spontanément à moi comme à un frère, sans se douter une seule seconde que je ne me sens pas plus proche de Allah que de Dieu, Zeus, Quetzalcoatl, Thor, Apple ou Vishnou. Tout en évitant soigneusement de tomber dans la malhonnêteté et l’abus, j’ai commencé à cette période à me rendre compte qu’une barbe pouvait ouvrir de nombreuses portes.

Était-ce dû au volume plus important de la crinière ou au fait que je faisais désormais cavalier seul ? Je l’ignore. Toujours est-il que, si la barbe m’ouvrait des portes en Indonésie, à Singapour et en Malaisie, elle semblait en outre permettre de bâtir des autoroutes de communication entre les locaux et l’étrange étranger barbu que j’étais à leurs yeux. Nous ne parlions pourtant souvent pas la même langue. Qu’à cela ne tienne ! L’espace d’instants magiques, nous ne le réalisions plus. En quittant le pays, j’ai pensé qu’il serait intéressant de continuer l’expérience au Sri Lanka, dont j’ignorais tout.

C’est donc toujours velu que je suis arrivé fin décembre 2013 à proximité immédiate de l’Inde. Au Sri Lanka, j’ai été stupéfait de constater à quel point le pouvoir d’attraction de ma barbe grandissait jour après jour. D’abord, et cela n’est pas rien, elle faisait sourire les magnifiques Srilankaises. Elle attisait ensuite la curiosité des enfants qui voyaient parfois pour la première fois de leur vie une barbe rousse. Elle me permettait enfin d’obtenir rapidement une virile forme de respect de la part des hommes de l’île.

En Inde, d’où j’écris et publie cet article ce jour, il ne se passe pas une seule journée sans que l’on ne m’arrête dans la rue juste pour le plaisir de me glisser un rapide Nice beard ! ou que l’on ne lève les deux pouces avec un grand sourire, sur mon passage, lorsque j’arpente le soir les marchés locaux et que je prends au préalable le temps de lisser ma moustache. Il faut dire que cette dernière est la norme ici. C’est avec une fierté non contenue que la moustache est portée par l’immense majorité des hommes du pays de Gandhi.

Beaucoup plus tôt, en Amérique du Sud, une version plus légère de cette barbe me valait de me faire appeler Chuck Norris. Depuis, l’originalité des surnoms reçus en l’hommage de mon capital pileux n’a eu de cesse de m’émerveiller. Entre Supertramp, The-French-traveller-with-the-big-beard-and-the-red-scarf, Le caméléon, Red Forest et Le bûcheron, je pensais que tout avait été inventé. Jusqu’à ce que j’arrive dans le Karnataka et que je découvre, à ma plus grande surprise, que tous les Indiens semblent désormais s’être passé le mot pour m’appeler sobrement : Baba.

Il y a plus de 16 mois, je quittais la France. J’avais 23 ans et les joues lisses. Je ne savais pas encore que, pour le voyageur, la barbe et le sourire se révèlent au final bien plus chers qu’ils ne coûtent. Cela, parmi tant d’autres choses, je l’ai compris sur la route.

Cette leçon vaut bien un hommage, sans doute.

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Arrivée en Inde

Publié par Audesou, le 1er mars 2014 à 04:06

Le déséquilibre soudain me sort de mes pensées.

À l’autre bout du banc, l’arrivée brusque d’un Suédois d’une quarantaine d’années — genre, armoire à glace — manque de nous renverser au sol, mes affaires et moi. Pas bien volumineux avant le départ, j’ai perdu une douzaine de kilos, depuis que je suis parti. Le superflu n’a pas sa place lorsque l’on vagabonde à petit budget. La masse non strictement nécessaire au bon déroulement du périple a été rapidement consommée. Côté tribord de ce banc, malgré le renfort de mon loyal équipement, je dois admettre péniblement que je ne fais plus le poids.

Nous sommes le soir du jeudi 16 janvier 2014 quand j’entame la discussion avec l’armoire. J’apprends de la part de ce grand blond qu’il s’envole vers Dubaï, quand, de mon côté, je patiente dans l’aéroport de Colombo en attendant mon vol pour Chennai, dont le départ est prévu à 03:20 le lendemain matin. Il est intéressant. Savourant la magie de ces lieux hors du temps et de l’espace que sont les aéroports, nous échangeons pendant quelques heures avant que nos routes ne se séparent à nouveau.

En enregistrant mon gros sac à dos — qui voyage de son côté en soute — j’espère le revoir une fois dans le Tamil Nadu. Le sac, pas l’armoire. Suite à mon dernier vol, qui m’a permis de mettre les pieds au Sri Lanka après avoir quitté un peu plus tôt la Malaisie en décembre 2013, j’ai passé quelques jours dans le même caleçon, faute de ne pas l’avoir retrouvé à l’arrivée. Sans me prévenir, il avait décidé de suivre une autre piste et de prendre son envol. Seul. Ailleurs. Sous le soleil. Aux Maldives.

Alors que je m’apprête à pénétrer dans la salle d’embarquement, je suis interpellé par la voix du grand Tom Hanks en arrière-plan, qui m’arrive aux oreilles depuis l’ordinateur d’un jeune agent de sécurité. Tandis que ses collègues sont dressés à l’affût de la moindre attitude suspecte, lui est assis et isolé dans un coin de la pièce. De loin, un observateur non averti pourrait penser que ce regard silencieux intensément fixé sur la dalle LCD depuis de longues minutes est celui d’un employé particulièrement zélé. Que nenni ! Sans un bruit, son corps tout entier hurle à qui sait l’entendre qu’il tente juste de se faire oublier.

Si son écran est masqué, ses haut-parleurs, bien qu’en sourdine, le trahissent.

En recomposant les bribes sonores que je perçois, je reconnais certains dialogues : le canaillou est en train de regarder l’excellent Captain Phillips, pendant que ses collègues plus âgés font tout le boulot, à quelques dizaines de mètres de là. Je sais que je m’apprête à faire monter son niveau d’adrénaline d’un cran, mais voilà quelques heures que je n’ai pas ri, et l’occasion est trop belle. Discrètement, je sors de la file des futurs passagers, me place à ses côtés, et lui glisse un sobre :

Alors, tu me le conseilles ou pas, Captain Phillips ?

Ses yeux tombent presque tant ses paupières sont écarquillées lorsqu’il lève brusquement la tête vers moi. Très vite, le voilà qui bondit, paniqué, affublé de l’air nigaud qui colle au visage de ces enfants qui se font prendre frimousse barbouillée et main droite profondément enfouie dans le panier de chocolats, tout en affirmant qu’ils ignorent totalement qui a pu manger les derniers morceaux qui avaient survécu suite au passage de la tata Monique dans la matinée.

Tout en coupant le murmure des enceintes de sa station de travail, il scanne la pièce d’un air craintif, afin de vérifier que ses collègues n’ont rien vu de la scène qui vient de se jouer. Croisant à nouveau mon regard, il m’implore de ne rien dire à ses supérieurs. Je le rassure en lui affirmant que là n’est absolument pas mon intention, et que j’apprécie Tom Hanks, tout autant que lui. Nous finissons par pouffer tous les deux de rire quand je le quitte en lui laissant sur un bout de papier l’adresse d’un excellent site sur lequel il pourra à l’avenir télécharger des sous-titres et augmenter par la même occasion son niveau de discrétion, qui laisse pour le moment franchement à désirer.

On est cinéphile ou on ne l’est pas.

L’horloge tourne. Confortablement assis dans le Bombardier Q400 de SpiceJet qui devrait me déposer en Inde dans un peu moins de deux heures, j’attends avec impatience le moment du décollage, les yeux rivés sur l’hélice du moteur numéro 2, qui ne bouge toujours pas. C’est la première fois que je voyage dans ce bel appareil, mais je le sais suffisamment puissant et léger pour qu’une fois lancé sur la piste, il offre la sensation particulière d’être déjà en vol avant même que ses roues n’aient quitté le sol. Un double décollage, en somme. Un plaisir simple, mais intense, pour ceux qui aiment quitter terre.

C’est en me préparant à éprouver pleinement cette sensation que j’aperçois l’hélice droite se mettre à tourner dans un ronflement silencieux. Très vite, les roues aident l’appareil à trouver son axe et le bimoteur s’enorgueillit de sa puissance. Tandis que les freins sont libérés et que nous nous arrachons peu à peu au sol, je regarde la nuit, des frissons plein le corps. Me voilà déjà en train de quitter le Sri Lanka. Les souvenirs du superbe mois passé sur l’île me remontent à l’esprit. Je sais ce que je quitte, j’ignore ce que je trouverai. L’excitation, la curiosité et la peur se mélangent en un cocktail acidulé et addictif.

Une nouvelle fois, je plonge vers l’inconnu.

Point de folies pour le début de ce plongeon, puisque c’est à dormir que je passe la quasi totalité du trajet, réveillé seulement par l’entrée en finale de l’aérodyne et la pression sur les tympans engendrée par la baisse d’altitude associée à cette manœuvre. À travers le hublot, je vois sans vraiment les regarder les rares lumières de Chennai, qui déchirent le voile d’obscurité de la nuit.

Me voilà techniquement en Inde.

Dans le bus qui emmène les passagers jusqu’au terminal depuis le tarmac, je m’assois aux côtés d’un moine bouddhiste, après que celui-ci m’ait invité à prendre place près de lui d’un simple dodelinement de la tête. Pour une raison qui m’échappe, je semble attirer les moines bouddhistes, ces derniers temps. Dans un anglais à la syntaxe franchement particulière, il me fait comprendre qu’il souhaiterait que je l’aide à remplir sa fiche d’arrivée. Né au Bangladesh, il ne maîtrise pas l’alphabet latin. Précautionneusement, je passe une vingtaine de minutes à renseigner sa fiche en face des comptoirs de l’immigration, sur la base des informations que je réussis à collecter et déchiffrer, dans son passeport bien rempli.

Arrivé dernier au niveau de la salle de réception des bagages, je gagne 19 points de sérénité lorsque j’aperçois mon sac qui semble surfer seul, au loin, sur les tapis roulants. Depuis ma position, j’ai presque l’impression qu’il me tend les bras. Je suis soulagé de retrouver celui qui m’accompagne depuis plus de 14 mois.

Certaines portes sont plus faciles à franchir que d’autres. Alors que je vois se dessiner peu à peu la sortie, je réalise soudain que j’ai peut-être poussé cette fois le bouchon un peu trop loin. La dernière fois que j’ai réservé une chambre à l’avance, c’était lors de mon arrivée à Sydney, en juillet 2013. Depuis ma première étape en Australie, je dors où mes pas me portent, et j’ai toujours réussi à trouver un lieu de chute, chaque soir.

Mais ça, c’était avant d’arriver en Inde.

Le jour n’est pas encore levé, et c’est sans contact et sans adresse que je débarque sans le connaître dans ce pays que l’on m’a dit capable de réduire n’importe quel guerrier de la lumière en miettes. Je repense à ceux qui, au Sri Lanka, m’affirmaient qu’arriver à Chennai de nuit serait un choc très brutal, et que je ferais peut-être mieux de partir en taxi vers le sud pour m’acclimater quelques jours dans le village de Mahabalipuram, dès la sortie de l’aéroport. Ignorant ces sages conseils, j’ai décidé en sortant de l’avion que je resterai sur Chennai pour quelques jours. La Piste Inconnue ne prend pas — ou très peu — le taxi. Et s’il faut qu’un choc survienne, autant qu’il arrive au plus tôt.

Je dispose d’une journée pour retomber sur mes pattes. Je décide donc d’avancer.

Avancer. Avancer. Avancer. L’ordre était pourtant clair. J’ai beau m’être décidé, je n’y arrive pas. Subtilement, sans mot dire, mes pas se sont arrêtés. Mes semelles sont comme enracinées au sol. Comme si mon corps fatigué me forçait à prendre le temps de contempler ce reflet inquiet que je projette sans le vouloir sur la porte qui me sépare de cette nuit noire dont la sombre autorité s’étend sous chaque recoin du dehors. Alors que je m’apprête à quitter le confort de l’aéroport et que la sortie n’est plus qu’à quelques mètres, j’ai l’impression de me voir rapetisser. Cette porte qui grandit à mesure que je crois disparaître me semble brusquement infranchissable. Je baisse la tête vers le sol. Pieds toujours immobiles. Sans comprendre pourquoi ni par quelle association d’idées, je me mets à penser à la bataille du Chemin des Dames. Tout comme les bleus d’alors, je suis paralysé par la peur. Celle qui me submerge me paraît pourtant bien dérisoire au regard de celle que les soldats de tous bords ont dû atrocement éprouver. N’empêche que, côté Chennai, la terreur monte. Je regarde la peur en face, et choisis à nouveau de plonger, de m’enfoncer dans le tunnel, afin d’en atteindre au plus vite l’autre extrémité.

Quelques instants plus tard et du glucose en moins, je reprends ma respiration et mes esprits en pensant à celles et ceux que j’aime. Je pense à mes proches. Je pense à vous. À tous ces messages de soutien plus touchants les uns que les autres reçus ces derniers jours, depuis la France ou ailleurs. Cela me redonne de la force. Je savais que cette arrivée serait difficile à gérer. Quelque part, je me rappelle peu à peu que c’est aussi cette forme de difficulté que je recherche. Je tente de faire le vide dans mon esprit, qui ressemble désormais à un champ de bataille, au lendemain d’un violent affrontement. Je laisse le flot de l’intuition me submerger à son tour, afin de nettoyer les décombres et y voir plus clair. Comme souvent, je choisis d’embarquer mes peurs sur mon dos et de trouver ma voie dans l’action. Les premiers pas sont pénibles. Qu’importe la direction, il faut que je me remette en mouvement.

Une fois passée la porte de l’aéroport, tandis que je pensais être le dernier sur les lieux, je remarque qu’une forme orange se détache dans la nuit. Le moine bouddhiste du Bangladesh — celui-là même à qui je suis venu en aide un peu plus tôt — me salue d’un sourire. Je comprends qu’il m’attendait. Il me demande où je vais. Je lui réponds que je n’en sais rien et lui renvoie la pareille. Je déchiffre son langage et comprends qu’il se dirige vers Chennai, où il a rendez-vous avec d’autres moines dans un monastère au cœur de la ville.

Après m’avoir évalué de la tête aux pieds, il reprend la parole et me propose de l’y suivre : il pourra sûrement m’y trouver un lit.

Telle est l’une des lois de la route : du désespoir à la sérénité, il n’y a qu’un pas.

Je suis heureux d’avoir suivi mon intuition et préféré le risque de la nuit au confort piégeur de l’aéroport. Fatigué, aussi. En suivant à pied cet homme que je ne connais pas, dans ces lieux que je ne connais pas, je suis passé en pilotage automatique. J’éprouve la sensation mystique d’être l’observateur extérieur de mes propres actions et de ce qui m’entoure. Nous empruntons tous deux des chemins sombres et des souterrains glauques dans lesquels je n’aurais jamais osé m’aventurer seul. Les odeurs me prennent aux yeux, et je n’ose regarder ce sur quoi je place pas à pas mes pieds. Il y aurait de quoi se laisser envahir encore une fois par la peur, mais je suis dorénavant accompagné d’un moine. Lui, sait où il va, et sa présence me rassure. Rapidement, nous arrivons à la gare de Tirusulam, depuis laquelle mon guide m’offre le billet pour la Egmore Station de Chennai. Je le remercie pour son aide. Il me fait remarquer qu’il n’aurait pas pu sortir de l’aéroport sans la mienne. Au hasard des actions désintéressées, nous avons su trouver un bien bel équilibre.

Quelques minutes plus tard, tandis que je suis toujours plongé dans une torpeur cotonneuse et que je réalise mal que j’évolue désormais sur le sol indien, un train arrive en trombe. Deux constats rapides : ce dernier est bondé et n’a pas de portes.

En compagnie du moine, nous sautons dans un wagon moins chargé que les autres. Nous nous en faisons littéralement expulser quelques microsecondes plus tard, sous les huées de ses occupantes : de la plus belle des manières qui soient, je découvre alors qu’en Inde, certaines voitures sont réservées aux femmes.

Catapultés sur le quai alors que le train est déjà en train de repartir, nous sprintons tous deux jusqu’au wagon suivant, dans lequel nous grimpons péniblement, en nous agrippant à ce — et ceux — que nous pouvons. Par défaut, je ne suis pas rapide à la course. C’est d’autant plus vrai lorsque je suis chargé. Une caractéristique que je partage visiblement avec mon bienfaiteur. Nous restons là quelques secondes, une moitié à l’intérieur, une autre moitié à l’extérieur du train, qui roule déjà à très vive allure. Impossible d’avancer, tant la foule est compacte. Il y a quelques années, j’aurais été strictement incapable de mettre les pieds dans une telle cellule.

Je tente de reprendre mes esprits quand soudain, un Indien au physique imposant hurle un juron que je ne comprends pas à l’attention de ses compatriotes, envoie valser tous ceux qui nous séparent de lui, et nous agrippe tous les deux par la poitrine en nous tirant sans ménagement à l’intérieur de la rame. D’un dodelinement naïf de la tête, je le salue pour son geste.

Il me fait signe de regarder derrière-moi.

Le temps de poser mes affaires à terre et de me retourner, je prends conscience du danger auquel nous venons d’échapper, le moine et moi. À l’emplacement exact où devait encore se situer mon sac il y a quatre secondes défilent maintenant à toute vitesse des centaines de poteaux, qui viennent — telle une chaîne meurtrière et ininterrompue — frôler l’ouverture qui fait office de porte dans ce train de la mort. D’ordinaire très alerte, je m’en veux d’avoir totalement baissé ma garde et perdu conscience de ce qui m’entourait, durant les dernières minutes. D’expérience, je sais pourtant que l’on est toujours très vulnérable à l’arrivée sur un nouveau territoire, et qu’il est donc de bon goût de redoubler de vigilance en pareille situation. Je regarde ces poteaux que la persistance rétinienne imprime narquoisement sur le fond de mes yeux, et je me dis que La Piste Inconnue aurait pu s’arrêter ici, il y a un instant.

J’en ai froid dans le dos.

Habitué au rythme très lent des trains srilankais, épuisé par une nuit quasi blanche et comme hypnotisé par tous les récents événements qui semblent presque irréels, je suis en colère contre moi-même en pensant à mes aptitudes à la survie auxquelles je n’ai vraiment pas fait honneur pour le coup. Je peste d’avoir pu être aussi stupide et de m’être mis en danger de mort. Je me promets que cela me servira de leçon.

Le reste du trajet, je le passe à frissonner, dans un léger état de choc. D’autant que je ressens déjà un autre type de choc, le choc culturel, s’insinuer doucement. Là où ma seule présence dans les transports en commun srilankais suffisait à faire jaillir des dizaines de sourires, je me heurte ici à ces regards désespérément vides et perdus au loin, dont seuls sont capables les Indiens. Au moment de quitter le train, nous oublions d’emporter avec nous l’un des sacs du moine, et cela nous désole tous les deux. Moine ou pas, je crois que lui aussi a été chamboulé par ce que nous venons de vivre. Une fois sur le quai, je me retourne et croise une dernière fois le regard de l’homme qui ne nous a pas laissé tomber. D’homme à homme, sans un seul mot, il me dit de faire attention à moi tandis que je le remercie à nouveau.

Il m’a sans doute sauvé la vie.

Il fait finalement jour lorsque nous arrivons à Chennai. La ville est déjà bondée, et les fameuses odeurs de l’Inde dont tout le monde m’a parlé m’envahissent le nez, au même titre que la poussière, qui semble ici incapable de rester sagement collée au sol. Étrangement, la première réflexion qui germe dans mon esprit est pourtant la suivante : je m’attendais à bien pire que cela.

Puis, très vite : patiente donc quelques jours, et peut-être que tu la regretteras, celle-là.

Dans les ruelles de la ville, je calque les pas du moine, qui m’emmènent jusqu’au monastère où il passera la nuit. Je constate hébété que l’entrée de ce dernier est gardée par une douzaine de policiers armés jusqu’aux dents, sans comprendre pourquoi un tel arsenal est jugé nécessaire à la porte de ce lieu sacré. Alors que mon guide rentre sans problème, nous passons un quart d’heure à convaincre chacun des propriétaires de ces tristement célèbres AK-47 que je ne suis pas une menace. Assurément, on n’accueille pas beaucoup d’occidentaux en ces murs.

Une ultime épreuve de patience m’attend, lorsque j’arrive enfin auprès de la personne qui gère l’attribution des lits dans le monastère. Sans même prendre la peine de me considérer, celui-ci m’annonce du tac au tac que toutes les chambres sont complètes et qu’il me faut donc trouver un autre lieu de chute pour ce soir.

En face de lui, un tableau quadrillé est percé de clous. Au bout de la plupart de ces clous pend encore une clé numérotée. Sans ouvrir la bouche, je regarde le tableau avant de revenir lentement déposer le regard sur lui. Après un silence de quelques secondes, il m’ordonne finalement, dans un soupir, de prendre la clé numéro 4. La seule condition est de payer immédiatement.

Il ne me fait pas entièrement confiance, mais comment pourrais-je lui en tenir rigueur ? Je lui annonce que je prends deux nuits en lui demandant le tarif : 250 roupies indiennes par coucher de soleil. Soit environ 3 euros la nuit. Alors que je lui tends un billet de 500 roupies indiennes, je me dis que j’ai vraiment une chance insolente d’avoir atterri ici.

Lorsque, tout en sueur, j’ouvre la porte de la chambre numéro 4, je découvre : deux matelas, un ventilateur, et les trois quarts des moustiques du pays.

C’est ainsi que je suis arrivé en Inde.

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Le Sri Lanka

Publié par Audesou, le 23 février 2014 à 11:47

Le mois de février 2014 arrive bientôt à son terme, et je remonte lentement l’Inde en direction du Népal, après un mois passé au Sri Lanka.

L’histoire récente de ce dernier est une histoire de mort et de souffrance. En 1983, une guerre civile silencieuse et sanglante éclate au nord du pays, pour ne se terminer officiellement qu’en 2009. Durant cette période, le 26 décembre 2004, alors que les tentatives de paix échouent les unes après les autres, les côtes sud et est du pays sont à leur tour ravagées. Frappées par un tsunami, cette fois. Conséquence directe d’un séisme sous-marin survenu quelques heures plus tôt au large de Sumatra.

Là où certains pays se seraient écroulés, le Sri Lanka a tenu bon, et regarde aujourd’hui droit devant, dans la posture typique de ceux qui, s’ils sont souvent tombés, se sont relevés à chaque fois. Force tranquille, île merveilleuse et atypique, paradoxalement riche et préservée, il y a fort à parier que, d’ici 15 ans, le Sri Lanka — longtemps meurtri mais très conscient des trésors qu’il renferme — sera devenu le nouveau Bali. Pour le meilleur et pour le pire.

Synthèse de mon aventure, anecdotes et autres conseils aux voyageurs...

Mon parcours

  1. Negombo.
  2. Kandy.
  3. Dalhousie.
  4. Nuwara Eliya.
  5. Haputale.
  6. Ella.
  7. Kandy.
  8. Embilipitiya.
  9. Tangalle.
  10. Mirissa.
  11. Negombo.
  12. Katunayake.

Pour en savoir plus sur mon parcours au Sri Lanka, consultez la page « L’itinéraire ».

Ce que j’ai apprécié

  • La beauté des femmes srilankaises.
  • Les montagnes du centre du pays.
  • L’authenticité, bien présente, dès lors que l’on fait quatre pas hors du circuit touristique.
  • Marcher des heures sur les voies ferrées.
  • Les sourires, partout, tout le temps.
  • Prendre le train, barbe et cheveux au vent.
  • Les rice & curry, toujours différents, souvent excellents.
  • Les fruits.
  • La faune.
  • Les plantations de thé.
  • L’aide reçue spontanément dans les rues, notamment dans les stations de bus.

Pour en savoir plus sur mon aventure au Sri Lanka, consultez la catégorie « Sri Lanka ».

Ce qui m’a interpelé

  • Le coût absolument dérisoire des transports en commun, y compris d’un point de vue srilankais.
  • La manière dont les postes principaux du pays (transports, économie, politique, éducation, commerce, etc.) sont structurés autour de la capitale, Colombo.
  • Le temps consacré chaque jour à la préparation des épices.
  • L’hygiène parfois catastrophique des cuisines.
  • Le coût de l’hébergement, très élevé au regard du coût de la vie.
  • Le grand nombre de serpents croisés sur mon chemin.
  • La manière dont cohabitent soldats, moines et le reste des habitants du pays.
  • Le fait que le concept de voyage en solo paraisse invraisemblable à la plupart des locaux.
  • Le nombre d’infrastructures touristiques en cours de construction, partout dans le pays.
  • Constater que les moines se nourrissent exclusivement grâce à la nourriture apportée par les habitants du coin.
  • La cohabitation des deux langues officielles, le cingalais et le tamoul, ainsi que de l’anglais, sur la plupart des panneaux du pays.
  • La lenteur des transports en commun.

Mon budget

J’ai passé au total 28 jours au Sri Lanka entre le 20/12/2013 et le 17/01/2014.

Total des dépenses
446,19 €
Budget moyen quotidien
15,94 €

Au Sri Lanka, le concept de tourisme est relativement récent, immature, et incontrôlé. Ce qui encourage régulièrement avidité, initiatives individuelles douteuses et prix exorbitants. Et tant pis si cela implique de déséquilibrer largement l’économie du pays.

Ce constat est triste, mais, de manière générale, si le coût de la vie est plutôt faible sur l’île, de trop nombreux srilankais auront tendance à ne vous considérer que comme un gros dollar, lors du premier contact. Plus qu’ailleurs, il est important ici d’apprendre rapidement la vraie valeur des choses et de savoir négocier avec le sourire, afin de rééquilibrer ce qui doit souvent l’être, créer du dialogue, réinstaurer une forme de respect de l’Homme, et ne pas voir votre budget partir en orbite.

Si vous payez vos nuits, sachez également que le poste hébergement occupera une part importante de votre budget quotidien. En particulier si vous voyagez seul. Les dortoirs et chambres simples sont très rares, partout dans le pays.

Enfin, notez que les chiffres exprimés ci-dessus intègrent le coût de mon visa touriste indien ainsi que celui de mon vol pour Chennai, pour un montant groupé d’un peu plus de 80 €.

L’unité monétaire du Sri Lanka est la roupie srilankaise (Rs).

Conseils aux voyageurs

  • Évitez de boire l’eau du robinet.
  • Négociez tout au préalable, y compris le prix des repas lorsque ce dernier est trop élevé.
  • Lorsque vous savez que l’on se moque de vous, un bon moyen de réagir face à un prix exorbitant est de demander à votre interlocuteur srilankais si celui-ci serait prêt à payer le prix qu’il vous annonce pour le même produit ou service. Si vous déclenchez un sourire un peu gêné, vous venez de gagner votre réduction.
  • Rien n’est prévu pour le stockage des bagages dans les bus classiques, souvent bondés. L’astuce consiste à placer votre sac à la gauche du chauffeur, en veillant à ne pas gêner l’accès au levier de vitesses.
  • N’évoquez jamais directement la guerre civile. Partout dans le pays, de nombreux srilankais ont perdu des proches dans les affrontements ou lors des représailles. Il s’agit aujourd’hui du plus grand tabou national.
  • Ne sous-estimez pas le poste hébergement de votre budget.
  • À Colombo, dans ses environs, et, dans une moindre mesure, dans les places touristiques, des jeunes hommes vous accosteront parfois selon la technique malhonnête du pied-dans-la-porte : « Hey l’ami, tu te rappelles de moi ? On s’est vus il y a quelques jours à Colombo ! », avant de chercher à vous vendre tout et n’importe quoi de manière plus ou moins tendre si vous engagez la conversation. Résistez à l’envie d’en savoir plus sur les circonstances de votre première rencontre, de toute façon fictive, et ignorez-les.
  • Dans les cantines locales, on vous servira soit sur une feuille de bananier, soit sur un plat en métal recouvert d’un film plastique. Une fois votre repas terminé, dans le premier cas, repliez la feuille en deux. Dans le second, détachez le film plastique des bords et ramenez-le en un petit paquet au centre du plat.
  • Le Sri Lanka ne possède qu’un seul aéroport international, Bandaranaike, situé à quelques dizaines de kilomètres au nord de Colombo. Si vous n’appréciez pas les grandes villes, préférez transiter via le populaire village de Negombo, à quelques kilomètres au nord de l’aéroport, plutôt que via la capitale, lors de votre arrivée dans le pays.
  • Dans les bus, les places situées à proximité immédiate du conducteur sont réservées aux moines. Si un moine entre dans le bus et que vous êtes assis sur l’un de ces sièges, il est attendu de votre part que vous quittiez totalement la zone, y compris si un siège restait disponible à vos côtés.
  • Ne vous asseyez pas à côté d’un moine sans y avoir été au préalable invité.
  • Dans les terminaux de bus, une mauvaise nouvelle : il vous sera souvent tout simplement impossible de trouver seul votre bus en raison du caractère totalement anarchique et chaotique de la plupart des gares routières. En contrepartie, la bonne nouvelle, c’est que l’immense majorité des srilankais vous viendra en aide pour peu que vous le leur demandiez poliment.
  • De même pour certaines grandes gares ferroviaires.
  • Des milliers de bus circulent chaque seconde sur les routes du pays, et il est absolument inutile de réserver ces derniers. Si au moment où vous arrivez à la gare routière, aucun bus ne part pour votre destination, montez juste dans le prochain bus qui part dans la direction de cette dernière, et changez de monture le moment venu. Aidez-vous d’une carte, et parlez avec les locaux !
  • Même si le coût des transports en commun est ridicule, sachez que le stop fonctionne bien au Sri Lanka.
  • Le sud du pays est exposé aux risques liés aux tsunamis. Dans cette zone, veillez à toujours identifier plusieurs itinéraires de secours qui vous permettront de rejoindre très rapidement les hauteurs et/ou l’intérieur des terres, dès votre arrivée. En cas d’alerte, n’emportez avec vous que des vies.
  • Le nord du pays a été ravagé par près de 30 années de guerre civile, et de nombreux endroits restent a priori minés. Si vous tenez à votre intégrité physique, ne sortez surtout pas des sentiers largement battus dans ces zones. Signalez également tout objet suspect aux militaires, et ne vous en approchez surtout pas.
  • Connaître quelques mots de cingalais vous permettra souvent de passer du statut d’étranger à celui d’invité.
  • Dans chaque cantine locale, vous trouverez un robinet qui vous permettra de vous rincer la main droite suite aux repas.
  • En tant qu’homme, adressez-vous aux femmes avec beaucoup de retenue, et ne vous asseyez pas à côté d’une femme seule, sauf si elle vous l’a expressément demandé. En tant que femme, adressez-vous aux hommes avec beaucoup de retenue, et montrez-vous très ferme avec les éventuels hommes qui vous manqueraient de respect.
  • Attention, au Sri Lanka, les enseignes « Hotel » annoncent parfois un hôtel, souvent un restaurant, parfois les deux !
  • Les panneaux qui indiquent le nom des rues sont souvent portés disparus. Pour connaître le nom de la rue où vous évoluez, demandez de l’aide aux locaux, ou scannez les enseignes commerciales. Certaines intègrent l’adresse, et donc, le nom de la rue.
  • Dans le bus, faites totalement abstraction des dernières unités du coût du ticket, et arrondissez le montant. En d’autres termes, si l’on vous demande 63 roupies srilankaises, tendez 60. Si l’on vous en demande 97, tendez 100. Le contrôleur vous remerciera. 1 roupie srilankaise ne vaut rien pour personne (0,006 euro au 1er janvier 2014), encombre les poches, et ne ressert jamais.
  • Selon le Rapport 2013 sur le paludisme dans le monde de l’OMS, le risque de contracter le parasite sur l’île est quasi nul. Connaissez en revanche les risques et les symptômes toujours liés aux maladies véhiculées par les moustiques. Documentez-vous notamment sur la dengue et le chikungunya.
  • Tout comme en Indonésie et en Malaisie, pas de contacts entre la main gauche et la nourriture, ou cette même main et les gens qui vous entourent.
  • Si vous passez du temps en compagnie de moines bouddhistes, prenez le temps d’apprendre à vous comporter en leur présence ainsi que dans les lieux sacrés. Soyez curieux, ouvert et respectueux. Ils vous guideront.

Laisser vos traces sur « Le Sri Lanka »

Safari pour Pierrot

Publié par Audesou, le 9 février 2014 à 18:08

Pour clore ce chapitre insulaire de l’aventure, il convient d’ajouter sur ce carnet de route que le Sri Lanka a également été le théâtre de l’une de mes premières fois. Dans le genre de celles que l’on n’oublie pas.

Nous sommes le mercredi 8 janvier 2014.

J’ai longtemps attendu cet instant, et le dernier quart de siècle m’a appris que l’on n’a pas deux occasions de réussir une première fois. Un peu anxieux à l’émergence de cette pensée, je crains, au départ, de mal m’y prendre. D’être trop maladroit. Trop pataud. Insuffisamment vif. De ne pas savoir attirer. Pour me donner du courage, je repense à tous ceux dont j’ai un jour croisé les pas et qui, du haut de la colline de leur expérience, en parlaient librement devant moi. Je les écoutais avec admiration : ils l’avaient déjà fait. Grâce à leurs multiples témoignages — que je devinais parfois largement enjolivés — je n’ignore pas exactement tout des sensations que je m’apprête à découvrir ce matin. Je reste toutefois nerveux, tant je sais que certaines choses sont plus faciles à discuter qu’à réaliser. Après une longue inspiration, c’est en tentant de me souvenir de leurs nombreux conseils que je m’élance, un peu tremblant, dans le feu de l’action.

Très vite, chaleur et tension montent d’un cran. Me voici à même le sol, au milieu d’un lit si grand et si large que je n’en distingue pas bien les contours. Appareil bien en main, je m’allonge, et me concentre sur chacun de mes sens. Point de gestes brusques, provoquer la fuite de la présence à mes côtés est la dernière de mes envies. Je m’applique à manier mon objectif avec une douceur infinie. J’espère qu’il sera suffisamment long pour me permettre de toucher la cible.

Peu à peu, les contacts en tous genres se multiplient, l’excitation monte et les frissons m’envahissent. La confiance se déploie et efface mes premières craintes. Je dépose l’appréhension sur le sol et commence à éprouver du plaisir devant ces formes nouvelles que je n’avais jusqu’alors aperçues que vaguement, toujours de loin. Au même moment, la terre se met à trembler et de surprenants bruits s’envolent en l’air depuis l’arrière des buissons.

Le sentiment d’accomplissement est grisant. Le verdict, sans appel. Carte mémoire encore vierge il y a quelques secondes, je fais désormais partie du club de ceux qui l’ont fait. Toutes les dix minutes, à peine, je change de position. Je me contorsionne dans tous les sens. Sans brusquer ni forcer, je cherche à trouver le bon angle d’approche. Ce type d’efforts m’est inhabituel. Si bien qu’après quelques heures de va-et-vient sans temps morts, lorsqu’arrive le moment de me retirer, j’ai beau tenter de le cacher, mais je suis complètement épuisé et en nage. Mon corps me rappelle à sa manière que je ne suis qu’un novice en la matière.

Alors que je réajuste la capote qui recouvre celle qui m’a permis de pénétrer dans cet endroit et de vivre cette expérience hors du temps, je n’ai pourtant qu’une envie : repartir pour un tour.

Nous sommes le mercredi 8 janvier 2014, et je viens de vivre mon premier safari-photo.

Les Srilankais rencontrés sur la route m’avaient assuré que le Udawalawe National Park était le meilleur endroit de l’île pour observer les éléphants du Sri Lanka. Pardonnez-moi le jeu de mots qui suit et qui manque cruellement de caractère, mais ils ne s’étaient pas trompés.

Ce soir-là, tandis que je m’insinue lentement sous un maigre filet d’eau froide, je me surprends à reprendre celui qui offrait au monde en 1979 sa Chanson pour Pierrot. Au rythme des paroles de Renaud, je m’imbibe de cette journée qui s’éteint tranquillement, à mesure que la voie lactée impose sur la toile céleste son scintillement silencieux, et je finis par m’avouer tout à coup que si j’entonne précisément ce morceau, c’est que j’ai en réalité passé une bonne partie du jour à penser à eux, qui ne sont nés que dans ma tête.

Je regarde pour eux les étoiles, et je me dis qu’un jour viendra où ces biens beaux moments, c’est pour eux que je me donnerai les moyens de les vivre.

Je regarde pour eux les étoiles, et je me dis qu’un jour viendra où ces biens beaux moments, c’est avec eux que je prendrai le temps de les partager.

Safari pour Pierrot #1
Safari pour Pierrot #2
Safari pour Pierrot #3
Safari pour Pierrot #4
Safari pour Pierrot #5
Safari pour Pierrot #6
Safari pour Pierrot #7
Safari pour Pierrot #8
Safari pour Pierrot #9
Safari pour Pierrot #10
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Safari pour Pierrot #12
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Safari pour Pierrot #14
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Le chemin est la destination

Publié par Audesou, le 30 janvier 2014 à 06:12

Il y a deux choses que je partagerai toute ma vie avec l’ensemble des fils de cheminots de notre vieille nation. La première : je suis fils de cheminot. La seconde : j’ai passé mon enfance et mon adolescence dans les trains.

Si mon inclination naturelle à évoluer sur d’autres rails que ceux que connaissent bien les fils de la jet set a perduré après ma majorité, elle s’est toutefois brusquement adoucie, voire presque tue, lorsqu’a démarré La Piste Inconnue.

La malédiction est tombée lors de mon arrivée au Sri Lanka, quand j’ai appris que la voie ferrée qui relie la montagneuse Ella à la ronflante Kandy figure au palmarès des plus belles liaisons ferroviaires de notre planète. Je savais alors déjà que l’un des grands moments de mon parcours sur l’île prendrait vie derrière une motrice, sourire aux lèvres, de la fumée plein les narines, et un moucheron délicatement plaqué par le vent sur chacune de mes huit incisives.

Tous ceci nous amène au dimanche 5 janvier 2014.

Après un séjour inoubliable dans les montagnes srilankaises, je m’apprête ce matin à reprendre la route. Ou plutôt, les rails. C’est en empruntant le fameux tronçon dont je vous parlais ci-haut que je m’apprête à quitter Ella et à redescendre sur Kandy. Je dois récupérer là-bas mon visa touriste indien, suite à une demande déposée une quinzaine de jours plus tôt.

Lorsque le train arrive en fanfare dans sa robe bleue et pimpante, toute la gare — si calme jusqu’à présent — se met en mouvement dans un véritable branle-bas de combat. On charge, on décharge, on crie, on salue, on tourne, on se retourne, on saute dans tous les sens, et au final, d’aucuns ne savent plus très bien s’ils sont en partance ou s’ils viennent tout juste de débarquer ici.

J’assiste tout d’abord à cette scène depuis le refuge rassurant de l’immobilité, mais vient le moment où il m’en faut sortir pour espérer quitter les lieux un jour. Certaines astuces n’ont pas de frontières. Profitant de la cohue sur le quai, je décide de me faufiler entre les marchands, les agents, les chiens errants et les formes humaines en tous genres, pour descendre subrepticement sur la voie, et contourner le train. Une fois de l’autre côté, protégé de l’agitation par l’imposante masse métallique de ma future monture, je trouve rapidement et avec plaisir ce que je suis venu chercher : une porte libre.

Il en faut peu pour être heureux, dirait l’autre.

Toujours en quête d’intensité, je me hisse en 3e classe. La classe du peuple. Qui est également celle des voyageurs. Tranquillement, je m’installe au niveau de cette porte qui — comme toutes les autres portes du train — restera ouverte durant tout le voyage.

Très vite, me voilà en route. En sept heures, je parcours 163 kilomètres. Je vous laisse le soin de calculer la vitesse moyenne de celui qui ne gagnerait peut-être pas tout à fait la course contre le TGV de la LGV Est. M’enfin, cela ne m’importe pas. Je prends en fait un plaisir immense et je souhaiterais presque ne jamais arriver, bercé par le rythme lent et chaotique de cette vieille machine, qui s’arrête parfois brusquement, lorsque des animaux ou même des gens sont présents sur la voie. Sans compter que je n’ai payé mon billet que 130 roupies srilankaises, cotées à 0,73 euro le jour de l’achat. J’aime toujours autant les images. Dites-vous qu’au Sri Lanka, début 2014, une journée de train en 3e classe coûte plus ou moins le prix d’une baguette de pain en France. Voilà.

Sept heures de trajet jusqu’à Kandy, donc. Sept heures que je passe appareil photo au poing dans le cadre de cette porte de train, érigé pour l’occasion en un domaine privé, dans des conditions de sécurité qui feraient pleurer des larmes de sang aux équipes de sûreté de la SNCF.

Devant mes yeux, le Sri Lanka s’anime et défile, comme toujours, pétillant, tel un kaléidoscope géant. À la mode srilankaise, je suis tantôt suspendu au-dehors, tantôt plaqué au mur, tantôt par terre, tantôt plié, tantôt debout. Mais toujours barbe et cheveux au vent, sens en éveil, les yeux et l’objectif de celui qui m’accompagne grands ouverts.

Alors que la lenteur de la chose m’aurait fait perdre patience il y a quelques années, à une époque où je souhaitais trop souvent être déjà arrivé avant même d’être parti, rien ne semble aujourd’hui altérer mon sourire. Malgré l’exiguïté et le manque évident de confort, du haut de ma petite plateforme, je réalise que j’ai fini par comprendre peu à peu l’une des leçons majeures enseignées par La Piste Inconnue, ces derniers mois.

À savoir : le chemin ne mène pas à la destination, le chemin est la destination.

Le chemin est la destination #1
Le chemin est la destination #2
Le chemin est la destination #3
Le chemin est la destination #4
Le chemin est la destination #5
Le chemin est la destination #6
Le chemin est la destination #7
Le chemin est la destination #8
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